Aéroplans - Vue d'artiste d'un futur satellite Iridium NEXT (crédit : Thales Alenia Space).Chez les aviateurs, le programme de remplacement des ravitailleurs de l'US Air Force est souvent considéré comme le « contrat du siècle ». Dans le spatial, c'est probablement ce même qualificatif que pourrait recevoir le projet de renouvellement de la constellation Iridium.

La bataille s'est jouée en deux temps : un premier contrat a été disputé pour la construction des 81 satellites que comptera le réseau, et un second appel d'offres a été lancé pour déterminer qui allait les mettre en orbite. Résultat : Thales Alenia Space développera les satellites, et SpaceX les lancera.

 

 

Aéroplans -   Six satellites Iridium de première génération sont chargés au sommet   d'un lanceur Proton.

Cette répartition marque une refonte totale par rapport à la première constellation Iridium, dont les satellites avaient été développés par Lockheed Martin et Motorola, et lancés par un panachage de lanceurs américains, russes et chinois.

La naissance des constellations de téléphonie mobile.

Dans les années 1990, une fièvre des constellations s'était emparée des investisseurs de par le monde, et principalement aux Etats-Unis. La téléphonie mobile se développait à la vitesse grand V, et il apparaissait comme techniquement très difficile de couvrir efficacement toutes les zones habitées du globe avec les réseaux GSM classiques. Le téléphone par satellite n'était pas perçu comme étant la solution, car pour qu'un utilisateur puisse passer par un satellite, celui-ci doit être toujours visible depuis le sol, et il doit donc être placé en orbite géostationnaire. Problème : cette orbite est très éloignée Aeroplans -  Iridiumde la Terre (36 000km d'altitude), et pour communiquer avec un tel satellite il faut un appareil très gros et très consommateur d'énergie, ce qui est incompatible avec le concept de téléphone portable.

Une idée est alors apparue : lancer non pas un gros satellite en orbite géostationnaire, mais des dizaines de petits en orbite basse ! Comme ils seraient à basse altitude, on pourrait communiquer avec eux avec un téléphone de taille raisonnable, et comme ils sont nombreux on en aurait toujours un au-dessus de notre tête.

C'est ainsi qu'est née la société Iridium. Son objectif : mettre en orbite pas moins de 66 satellites de 700kg chacun. Le premier lancement intervient en mai 1997, quand un lanceur Delta II de Boeing met les cinq premiers Iridium sur une orbite à 780km d'altitude. Une vingtaine d'autres tirs permettront de compléter la « constellation », et le système commence à fonctionner dès le mois de novembre 1998. Moins d'un an plus tard, en août 1999, Iridium est en faillite et se place sous la protection du fameux Chapitre XI, qui permet aux sociétés américaines en difficulté de bénéficier de certains avantages.

Aéroplans - La première constellation Iridium.

Un échec inattendu.Aéroplans - Un téléphone Iridium (photo : Iridium LLC).

Les raisons du fiasco ? Le prix exorbitant des communications (plusieurs dollars la minute) et le développement de la téléphonie mobile classique, qui a rendu Iridium inutile, excepté pour quelques utilisateurs très particuliers, tels que les explorateurs arpentant le désert du Sahara ou les pleines de Sibérie.

Dans la foulée, plusieurs autres sociétés s'étaient lancées la tête la première dans cette nouvelle « bulle » que représentaient à l'époque les constellations de téléphonie mobile. Globalstar, ICO, LeoOne, Skybridge et bien d'autres furent créées, et elles connaîtront des sorts variés. Quand la bulle a éclaté, elles ont toutes été dissoutes, et ce avant même d'avoir lancé un seul satellite (à l'exception d'une seule, Globalstar, qui a mis en place une constellation de 48 satellites).

Le renouveau.

Finalement, à coup d'investissements publics, notamment de la part du Ministère de la Défense américain, Iridium s'est redressée. En fait, en 2000, elle réserve ses services aux militaires américains, qui récupèrent ainsi un réseau de télécommunications tout neuf à un très bon prix.

Depuis, la compagnie a réussi à redresser la barre. Elle compte aujourd'hui près de 400 000 utilisateurs et annonce régulièrement des revenus à huit chiffres (82M$ rien qu'au premier trimestre 2010). Les Forces armées ne comptent plus que pour 23% des utilisateurs.

En 2007, avec ces nouvelles ressources, Iridium lance un grand projet : Iridium NEXT. Il vise principalement à remplacer les satellites de la première génération, dont la durée de vie était bien sûr limitée. Les successeurs devraient permettre de proposer un service plus efficace et, surtout, beaucoup mois cher que précédemment.

De son côté, Globalstar lance également un projet Globalstar 2, sensiblement équivalent à Iridium NEXT mais bien plus avancé, car les premiers satellites vont être lancés d'ici quelques mois par Arianespace depuis Baïkonour.

Un grand succès pour l'Europe...

Aéroplans - Un  satellite Globalstar 2 en préparation chez Thales (photo : TAS).En mars 2008, Iridium annonce que trois compétiteurs sont retenus pour le développement et la construction des nouveaux satellites : Space Systems Loral, Lockheed Martin et Thales Alenia Space (TAS). Cinq mois plus tard, Space Systems Loral est éliminé.

Et le 2 juin dernier, Reynald Seznec, PDG de Thales Alenia Space, a pu annoncer fièrement que sa société avait décroché ce contrat de 2,1Md$ ! Les principales raisons de ce choix : la grande expérience de TAS en la matière, puisque c'est elle qui développe déjà les deux générations de satellites Globalstar, ainsi que la promesse de donner 40% du travail à des sous-traitants américains, comme Ball Aerospace et Boeing.

Une bonne nouvelle pour la France puisqu'une grande partie de la construction de ces satellites se fera sur le territoire national et ce notamment à Cannes. Une victoire énorme qui guarantira une masse d'emplois et des retombées économiques très importantes pour le pays. De plus, le soutien de la Coface a probablement été apprécié des investisseurs américains. Cet organisme apporte des garanties pour des projets français à l'étranger. Selon Reynald Seznec, le premier des 81 satellites sera prêt en 2015.

...et pour SpaceX !Aéroplans - Matt  Desch, PDG d'Iridium (photo : Space News).

En revanche, la deuxième part du gâteau ne traversera pas l'Atlantique. Le 16 juin dernier, ce n'est pas avec Jean-Yves Le Gall que trinque le PDG d'Iridium, mais avec Elon Musk, le très médiatique fondateur de SpaceX.

Il y a deux semaines, SpaceX a réalisé avec succès le premier vol de son lanceur lourd, le Falcon 9. C'est vraisemblablement avec ce véhicule que les satellites Iridium seront mis en orbite entre 2015 et 2017. Cet accord, avec une valeur de 492M$, est annoncé comme « le plus grand contrat de lancement commercial » de l'Histoire.

Un petit espoir subsiste tout de même pour les Européens, car Matt Desch a déclaré qu'un opérateur de lancement « de secours » sera bientôt sélectionné. On se souvient que Globalstar avait perdu douze satellites d‘un coup en 1998 lors de l'échec du lanceur ukraino-russe Zenit-2.