1477Analyse-{jcomments on}Le salon du Bourget, qui s’est déroulé en juin dernier a bien confirmé la reprise du marché de l’aviation commerciale avec des ventes records supérieures à l’année 2007, qui avait déjà été une année référence pour les avionneurs. Mais c'est avant tout Airbus qui s’est conforté dans son choix de remotoriser son Best seller, L’A320. En effet la nouvelle famille NEO (New Engine Option) a enregistré 842 commandes lors de ce salon, ce qui porte son carnet de commandes à pas moins de 1500 exemplaires depuis son lancement en décembre dernier. Encore à ce moment là, Boeing, le principal concurrent d’Airbus, hésitait lui aussi  à remotoriser son monocouloir. Mais c’est AMR, la maison mère d’American Airlines, qui a poussé l’avionneur de Chicago à dévoiler ses cartes la semaine dernière. En effet la compagnie cherche à remplacer sa flotte de monocouloirs actuellement composée de MD-80 (247), de 737-800 (128), de 757 (124). Et c’est avec grande surprise qu’AMR procède à une méga commande aux deux avionneur,s dont EADS remporte la plus grosse part du gâteau. Quant à Boeing, la moitié de sa commande se compose d’une nouvelle variante du 737.

 

Une forteresse de Boeing est tombée

American Airlines était une de ces compagnies américaines qualifiée de citadelle de Boeing. L’avionneur américain était jusqu'à présent le fournisseur exclusif de la compagnie américaine. Airbus n’avait en effet pas vendu d'appareils à ce client depuis une poignée d’A300 en 1986.  Mais la tendance a été renversée ce 20 juillet dernier avec l’annonce d’AMR d’une commande globale de 460 appareils composée de 260 appareils de la famille A320 d'Airbus (dont 130 en version NEO), avec des options pour 365 autres, tandis qu'elle achète 200 B737, avec des options pour 100 supplémentaires, représentant un total près de 40 milliards de dollars, dont 23 milliards pour Airbus.

Le fait de remporter la majeure partie de cette plus grosse commande de l’histoire constitue une double victoire pour l’avionneur européen. En effet en plus de casser le partenariat exclusif qui liait American Airlines et l’avionneur de Seattle, l’Européen contraint Boeing à faire le choix de la remotorisation du 737.  Comme pour sauver les meubles, Boeing a proposé à la hâte une nouvelle version de son monocouloir motorisé par le Leap de CFM International. La commande passée à Boeing est composée à 50% de cette nouvelle version qui n’a pour le moment pas de nom officiel.

L’Américain avait annoncé, il y a quelques mois, qu’il attendrait  jusqu'à fin 2011 pour faire son choix entre la remotorisation ou bien la conception d’un nouveau monocouloir. Mais le choix précipité  rend caduc ses affirmations que le NEO ne servait qu’à combler le déficit de performances de l’A320 par rapport à son 737NG. De plus à l’époque nous avions estimé que Boeing ne s’était pas aligné à son rival, car ses équipes étaient déjà bien trop mobilisées par les programmes 787 et 747-8, ce qui doit toujours être le cas aujourd’hui. Techniquement, très peu d’informations ont été dévoilées, mais les modifications ne devraient pas aller plus loin que la remotorisation, réduisant la charge de travail et les risques. La formule de cette nouvelle génération de monocouloirs doit encore être approuvée par le conseil d’administration, qui n’a pas d’autre choix que de le confirmer.

Le méga contrat calme les ardeurs de l’Assemblée Nationale

Il est à remarquer que la commande d’American Airlines décrédibilise la montée du protectionnisme économique au sein de l’Assemblée Nationale. Lors de deux précédents articles, nous vous avions présentés la montée aux créneaux de certains députés, pour pousser Air-France à privilégier l’acquisition de A350 au détriment du Dreamliner. La protestation en question avait pris forme notamment suite à la perte du contrat KC-X par EADS. Beaucoup voulaient donc renvoyer la balle aux Américains. Le contrat géant remporté aux Etats-Unis par Airbus fera sûrement retomber la pression au sein de l‘institution nationale et montre que la polémique n’a, au final, pas lieu d’être, et qu’il revient de plein droit aux cadres d’Air-France de faire leurs propres choix, même si l’Etat est un actionnaire important.

Le succès américain pour Airbus n’en restera sûrement pas là, puisque de nombreuses compagnies américaines devraient emboîter le pas à AA. En effet, Delta Airlines cherche à remplacer 100 à 200 moyens courrier, et à montrer il y a quelques mois son intérêt pour le NEO et le CSeries, en raison de leur motorisation commune de P&W. Le plan de rationalisation de sa flotte de monocouloirs d'AA permettra de réduire de 15% à 35% ses coûts d’exploitation. Concurrence oblige, les  autres grandes compagnies US devraient probablement adopter la même formule. Airbus n’a donc pas fini de remplir son carnet de commandes sur le continent.

Moins connu du grand public, une autre compétition commerciale gravite autour du marché des monocouloirs, celui des motoristes. Le programme NEO offre en effet à la clientèle le choix entre 2 familles de moteurs.

CFMI prend le large avec son Leap

C’est récemment que la joint-venture entre Safran et General Electric a renommé son Leap-X, simplement Leap.  Alors que le motoriste, sur le lancement de la version NEO, a peiné à engranger des commandes, c’est lors du salon du Bourget qu’il a pris une longueur d’avance sur son concurrent Pratt & Whitney, en remportant 44% des parts de marchés contre 22%. Bien qu’American Airlines ne se soit pas prononcé sur le choix des moteurs pour ses futurs airbus NEO, il serait logique de la voir opter pour le Leap, semblable à la motorisation des futurs 737 upgradés, toujours dans l’objectif de rationaliser  les moyens et de réduire les coups de maintenance.

Rolls Royce et P&W sont en profond désaccord depuis quelques mois autour de la joint-venture International Aero Engine, l’Américain ayant du mal à digérer le refus du Britannique d’embarquer sur le NEO et plusieurs recours juridiques concernant des brevets creusent un peu plus la mésentente entre les deux motoristes. Pratt&Whitney opterait aujourd’hui pour la recherche de nouveaux partenaires, avec notamment Volvo Aero et Avio.  Le but serait encore une fois de créer un consortium autour du PW1100G.

Dans notre article qui présentait la recette du NEO, nous avions remarqué que le choix des moteurs n’était pas anodin. Ce choix devait en effet tuer dans l’œuf la nouvelle concurrence Canadienne et Chinoise. Mais quand est-il aujourd’hui ?

La concurrence émergente

Bombardier peine toujours à remplir le carnet de commandes de son Cseries. Alors que la production doit débuter en 2013, les commandes fermes et les options ne cumulent que  113 exemplaires depuis le lancement du programme. Coté chinois, le monocouloir de la COMAC, le C919, ne remporte pas plus de succès. Alors que le carnet n’est en partie rempli que par des compagnies chinoises poussées par Pékin.

Les deux avionneurs ont donc choisi de s’allier pour faire face aux deux avionneurs historiques. Comac et Bombardier ont signé en mars un accord stratégique, qui leurs permettra de partager le développement, la production de certaines pièces et surtout un important réseau de services à la clientèle. Chez les deux industriels ont estime que leurs produits respectifs ne sont pas en concurrence directe.  Le Cseries occupe le segment des avions de 100 à 149 sièges tandis que le C-919, attendu dans le ciel en 2016, offre entre 150 et 180 sièges.

Autre acteur qui devrait prendre pied sur le marché, Embraer, qui attendait beaucoup de la décision de Boeing pour prendre position. Chose faite, l’avionneur brésilien souhaite lancer un nouvel appareil de 125 à 150 sièges qui pourrait voir le jour à la fin de la décennie. Cette nouvelle famille d’appareils devrait rentrer en concurrence directe avec celui de Bombardier. Quant aux moteurs, on parle une nouvelle fois du Leap et du PW1100G.

Même EADS avait sous estimé le succès de la remotorisation de l’A320. Alors que la production mensuelle du monocouloir a été rehaussée récemment à 42 exemplaires, Airbus étudierait une nouvelle fois la possibilité d’augmenter la capacité des chaînes de production. Certains évoquent même la théorie que les sites européens pourraient se concentrer uniquement sur la version NEO pendant que la totalité de la production d’A320 « Classiques » serait transférée à Tianjin en Chine. Mais encore plus étonnant, une usine aux USA pourrait voir le jour, à Mobile. Sacrée revanche sur Boeing, alors que ce site était destiné à la production d’A330 cargo en cas de victoire d’EADS pour le contrat KC-X.

8 mois après le lancement du programme NEO, le pari semble gagné pour Airbus. L’Européen a ébranlé ses concurrents jusqu'à leurs propres chasses gardées et a réussi à mettre un sérieux doute sur la concurrence émergente. Maintenant, il s’agit d’en assumer le succès, la liste des commandes est longue et le constructeur a  jusqu'à 2015 pour mettre au point sa nouvelle version. N’oublions pas que tout nouvel appareil (même si celui-ci est une évolution) est souvent accompagné de retards. Maintenant que Boeing a pris position, il reste à voir qu’elles seront les spécifications techniques de son nouveau 737, et comment il compte l’employer pour stopper la progression des Européens. Fin 2011, Airbus devrait sortir grand vainqueur de la course aux commandes, que mènent les deux constructeurs chaque année.

 

Arnaud Gonnard