Aeroplans - Saab Gripen © Gripen International KB by Katsuhiko TOKUNAGA Alors que les pays européens n’ont pas su adopter une stratégie commune sur la construction d’avions de combat, aujourd’hui elle doit assurer face à ses concurrents. Surtout quand la bataille à lieu sur ses terres, en Roumanie.

Le Rafale, l’Eurofighter et le Gripen, trois frères ennemis qui sont tous trois les fruits d’ambitions nationalistes. A l’époque, l’Europe se construisait à peine alors qu'aujourd’hui, elle doit faire face, partagée par cette lutte fratricide.

Habitués à combattre sur les mêmes champs de bataille que peuvent être la Suisse, l’Inde ou le Brésil, ces trois avions représentent tous le savoir-faire européen tout comme ses faiblesses.

 

Pourtant, chacun a ses points forts, souvent bien différents de ses frères et parfois, ils s’imposent naturellement comme le meilleur choix sur certains appels d’offres. C’est le cas par exemple de la Roumanie qui cherche à moderniser sa flotte de MiG-21. Alors que le Rafale ou l’Eurofighter seraient inadaptés, le Gripen peut jouer la partie face au F-16 américain. Un soutien inconditionnel des autres pays européens ne serait alors pas de trop.

Le F-16 pour remplacer les MiG-21 roumains.Aeroplans - MIG-21 Lancer roumain

Alors que les MiG-21 d’origine soviétique arriveront au terme de leur longue vie en 2013, la Roumanie cherche logiquement à moderniser sa flotte pour garder ses capacités opérationnelles. On parle de 48 avions encore en activité.

L’armée de l’air roumaine a été l’un des premiers clients du MiG-21 avec au total 110 machines en service. Cependant comme d’autres clients, Bucarest a souffert de l’effondrement du bloc soviétique et peine à trouver des pièces de rechanges pour ses avions. Ainsi, en 1993 elle se lance dans la modernisation de sa flotte. Seule la moitié de son parc sera modernisé par l’israélien Elbit Systems (vu sur le drone Watchkeeper) et le roumain Aerostar SA pour devenir le « Lancer ». Elbit est habitué à ce genre de manœuvre puisque déjà l’auteur de la modernisation des MiG-21 « Bisons » indiens.

Aujourd’hui, il n’est encore pas rare de croiser ces appareils dans des exercices internationaux. Ils emportent de l’armement russe ou occidental comme des Python, Magic2 ou R-60M. La relation entre Aeroplans - F-16I israelienBucarest et Tel Aviv est quant à elle mitigée. En effet, au-delà de la modernisation des MiG-21, il fut question en 2005 de la modernisation d’une flotte de F-16A/B Netz de la Cheyl Ha’Avir (armée de l’air israélienne). Mais cinq ans plus tard, les négociations semblent dans l’impasse pour des raisons inconnues.

Au final, ce sont 48 F-16 Fighting Falcon qui sont concernés par cet « échange » qui n'a rien à voir avec celui mentionné plus haut. Les appareils fabriqués par Lockheed Martin seront eux prélevés sur les stocks de l’US Air Force. Plus précisément, il s’agirait de F-16 C/D Block 25. Ils seront certainement livrés au travers de deux tranches. Un premier lot de 24 avions d’occasions est évalué à un milliard d’euros comprenant un support technique de trois à cinq ans. Washington applique sa stratégie désormais bien rodée mais souvent infructueuse et qui consiste à donner les avions. La Roumanie devrait ensuite les remettre aux normes, former les pilotes et moderniser les pistes de vol. A noter que dans le choix du Gripen, les pistes actuelles suffiraient à faire évoluer l’appareil suédois.

Aeroplans - F-16A, F-15C, F-15ESelon les parties concernées, les premières livraisons sont prévues pour commencer en 2012. La disponibilité des avions étant un point déterminant dans les négociations. Pour la secondes tranche qui pourrait être commandée en 2015, on parlait alors de 24 F-16 C/D Block 50/52. Du coup, ces appareils devraient être entièrement neufs. Cependant, l’achat de la première tranche doit encore être soumis au vote du Parlement. Comme nous le savons, rien n’est jamais joué en matière de contrats d’armement.

Etat des forces en présence.

Si les Américains semblent aujourd’hui avoir pris l’avantage dans ces négociations, les Israéliens n’ont surement pas dit leur dernier mot. Au-delà des F-16A/B Netz, le Gripen et même l’Eurofighter sont entrés dans la partie sans oublier les Russes.

La Roumanie Aeroplans - MiG-21 Lancer roumaindoit ainsi faire face à ses contraintes financières, à ses problèmes de capacité opérationnelle et donc, à sa situation internationale hautement concurrentielle. Elle parait donc tiraillée entre l’Europe, qu’elle a intégrée en 2007, l’ancien bloc soviétique, qu’elle regarde avec appréhension surtout depuis la campagne russe en Géorgie et enfin, elle hésite à renforcer de nouvelles alliances avec les Etats-Unis ou les Israéliens.

Une situation extrêmement complexe donc, qui amène Bucarest à choisir notamment un appareil aux normes OTAN. Le pays est membre de plein droit de l’organisation depuis 2004. Cependant, ces avions sont chers et le choix se réduit donc pour les Roumains. C’est pour cela que le don de F-16 américains est particulièrement intéressant. A condition qu’il n’y ait pas anguille sous roche bien-sûr. Bucarest cherche à intensifier ses relations avec les Etats-Unis pour sortir de la crise financière. Un calcul discutable qui a déjà fait avancer les Américains dans l’implantation de leur bouclier anti-missiles en Europe. Aeroplans - MiG-29 slovaque

L’offre israélienne aurait aussi pu être une bonne alternative mais visiblement classée sans suite. Des tensions avec les Etats-Unis au sujet du Venezuela, de la Chine et même du F-35 seraient à envisager. Le choix de F-16A aurait cependant été particulièrement judicieux car c’est le modèle le plus répandu dans les armées de l’OTAN. Ceci alors que les Israéliens continuent de réformer leurs 75 F-16A au profit des 102 nouveaux F-16I Soufa.

Reste alors les Russes. Moscou serait prête à faire une offre basée sur des MiG-29 ou des MiG-35. Le MiG-29 étant peu compatible avec les opérations de l’OTAN. De toute façon, une telle option semble compromise vu que l’armée russe est plutôt considérée comme une menace que comme une alliée dans la région. Surtout dans un pays où la vanité est forte. Une participation au programme F-35 JSF avait même été envisagée un temps pour satisfaire au tempérament roumain. Aujourd’hui, seul l’achat d’une vingtaine d’exemplaires serait envisagé.

Aeroplans - Mirage 2000 © SIRPA Air - C. Amboise

 

Une contre-offensive européenne sous l’égide du Gripen.

C’est alors que rentrent en jeu les Européens. Politiquement, la Roumanie a intégrée l’Europe mais les Roumains ne se sont pas encore intégrés. Pour Bucarest, il faut comprendre que le choix de son futur avion de combat sera un signal fort qu’elle adressera à la communauté internationale.

Ainsi, compte tenu de ses impératifs budgétaires, on pourrait croire que seuls les F-16 sont en bonne position mais en réalité, il n’en est rien. D’une part l’Eurofighter a tenté une percée sans pour autant que l’on y croit vraiment. Mais le meilleur élément pour l’Europe réside certainement dans le chasseur suédois Gripen. Ceci alors que l’option de Mirage 2000 français ne semble malheureusement pas envisagée.

Aeroplans - Eurofighter TyphoonOr, une offre de Mirage 2000 parait une opération judicieuse. D’une part l’appareil n’a plus à prouver de sa bonne tenue face au F-16. De plus, il est parfaitement compatible avec les normes OTAN. Enfin, la France devrait être tout à fait disposée à s’engager politiquement alors que c’est un élément clé dans des contrats Rafale comme aux Emirats.

Cependant, d’un point de vue européen, le Gripen doit rester l’option privilégiée. Plus moderne, il est plus cher que des appareils d’occasion. Mais d’un autre côté, il serait disponible immédiatement, neuf et surtout plus capable que de vieux appareils. Ensuite, ses coûts de maintenance sont eux-aussi plus intéressants. Enfin, Saab est officiellement prête à faire de gros efforts tant sur le prix que sur les échanges industriels.

 

Aeroplans - Saab Gripen in a hot environmental hangar test ©  QinetiQ ltd

Le groupe suédois a ainsi fait une proposition en or aux Roumains. Elle porte sur la livraison de 24 Gripen C/D pleinement interopérables aux normes OTAN pour le même prix que les F-16 d’occasion américains : « Nous parlons d’un package complet qui inclut la formation des pilotes, des techniciens, des pièces de rechange. Nous offrons également le transfert de technologie et bien d’autres facilités, comme une compensation en investissement économique dans le pays » a détaillé Jerry Lindbergh, le représentant du gouvernement suédois pour les affaires militaires. L’offre ne comprendrait pas de munitions contrairement aux Américains. Le gouvernement suédois est prêt à garantir un prêt sur 15 ans avec un taux d’intérêt très bas. Les premiers versements pourraient même être effectués deux ans après la livraison des premiers avions.

Au-delà de l’appareil, la politique devrait se mêler au jeu plus intensément. La Roumanie est déjà passé outre un appel d’offres Aeroplans - Saab Gripen © Gripen International KB by Frans Dely international, procédure en vigueur dans l’Union Européenne, il s’agit maintenant de faire rentrer le pays dans le rang. Pour l’industrie aéronautique européenne la situation est amère. Désireuse de développer ses liens avec la Roumanie, EADS (actionnaire dans le programme Eurofighter) a investi 45 millions d’euros pour la construction d’une usine dans le pays.

La politique comme les industriels pourraient alors choisir de se regrouper derrière Saab qui lance une attaque plus agressive. Outre le prix, les Suédois ont récemment déclaré : « Malheureusement, les forces armées roumaines risquent de se retrouver avec des rebuts ». Le groupe suédois sera certainement en mesure de livrer rapidement les Roumains, puisque c’est un autre élément déterminant du dossier. Le groupe l’avait déjà déclaré pour la Suisse, il n’y aucune raison qu’il en soit différemment pour la Roumanie.

Mais pour le moment, Bucarest semble vouloir privilégier un « partenariat stratégique » avec les Etats-Unis. On parle alors de nouveaux de l’acquisition de ces 24 F-16 mais qui serait suivie par 24 F-35 Lightning II à un prix préférentiel. Une situation qui serait économiquement étonnante. Enfin, reste aussi à savoir si Washington acceptera l'exportation du Gripen vers la Roumanie au dépend de ses propres avions. Certains composants de l'avion suédois doivent ainsi recevoir l'aval des Etats-Unis pour être vendus. Reste aussi à savoir aussi si l’Europe saura faire front pour garder la maîtrise de son environnement. En Roumanie, le contrat suscite déjà un mécontentement lié au manque de débat public et au manque de transparence.

Michael Colaone.



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