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{jcomments on}Analyse- Le temps presse pour les armées françaises, notamment pour l’armée de l’Air qui vient de déclarer que ses 4 drones Harfang seraient totalement obsolètes d’ici 2012. Le traité  militaire franco-britannique fait de l’acquisition  de drones MALE une priorité, afin d’équiper les armées des deux pays aux alentours des années 2018- 2020. L’appel d’offres commun prévoit un budget d’1 milliard d’euros pour  un drone optionnellement armé.

Dans cet article nous allons décrypter les différentes options qui se dessinent. Si ce marché fera l’objet d’une nouvelle bataille transatlantique avec l’offensive de General Atomics proposant son Reaper à l’armée de l’Air, elle opposera aussi plusieurs industriels européens, notamment Dassault aviation liée à son partenaire BAe système, face à EADS qui a bien du mal à maintenir son projet Talarion.

 

 

Un nouveau système intérimaire ?

Alors que les armées britanniques disposent déjà de drones américains Reaper, le débat anime toujours le gouvernement français sur l’achat du même système, afin de palier le déficit capacitaire engendré par l’obsolescence des drones Harfang. En effet, si le fameux futur drone transmanche rentre en service en 2017 (au meilleur des cas) et si aucun système intérimaire n’est acquis, l’armée de l’Air se retrouvera alors sans UAV au minimum pendant 2 ans (dans l’hypothèse que les Harfangs sont tirés à leurs pleines capacités jusqu’en 2015).

Il ne serait donc aujourd’hui plus question de l’acquisition d’un seul type de drone MALE, mais bien de deux. En résumé, un premier système intermédiaire permettra aux forces de patienter jusqu’à la livraison des futurs drones franco-britanniques. La succession de trois ministres de la défense différents a fait prendre un certain retard au dossier. Il est plus que temps aujourd’hui de prendre une décision.

Plusieurs options de transition sont proposées en plus du RQ-9 de General Atomics. Nous retrouvons le Heron TP de l’israélien IAI proposé dans une version améliorée par Dassault Aviation, ainsi que le Harfang NG, système proposé par EADS encore une fois dérivé d’un modèle Israélien. Il est à noter qu’il est étonnant que Sagem ne se soit pas officiellement positionné sur ce marché avec son MALE Patroller, l’entreprise aurait eu l’argument de fournir une solution très économique.

Bien que le MQ-9 semble plus cher, il reste néanmoins beaucoup plus performant. Il dispose notamment de l’avantage de pouvoir être armé, contrairement à ses concurrents. Mais l’acquisition du modèle de General Atomics (même si celui-ci n’est destiné qu’à combler un déficit en attendant un modèle plus performant) fait planer le spectre que les Américains gagneraient en influence afin de positionner la future évolution du Prédator, l’Avenger, gagnant en furtivité et en charges utiles par rapport aux évolutions précédentes. De plus, le Reaper mettrait à mal l’indépendance opérationnelle des armées puisque les Américains obligeraient les états utilisateurs de se servir de leurs moyens de communication satellitaire

Le blog Secret Défense a par ailleurs remarqué que cette situation avait un goût de déjà vu. Dans les années 90, l’Aéronavale envisageait en effetd’acquérir des F-18 américains afin de patienter jusqu’à l’arrivée du Rafale, destiné à remplacer ses vieux Crusaders. L’affaire avait donné lieu à de nombreux débats et Dassault était légitiment hostile à ce projet qui aurait pu tuer dans l’œuf le chasseur delta français. Au final la Royale prolongea temps que possible le Crusader et obtint une capacité air-air (limité) à ses super-étendards pour palier le déficit. Mais heureusement à cette époque, aucune crise ne vint ébranler cette faiblesse de l’aéronaval. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, les théâtres afghan et libyen mettent à jour ce déficit pour l’armée de l’air en matière d’UAV.

De nombreux militaires français reconnaissent l’incroyable capacité dont dispose le Reaper et affichent aujourd’hui une nette préférence par rapport à l’évolution d’un système Harfang qui n’a au final, en tout et pour tout répondu aux besoins pendant seulement 4 années. Mais  alors que le ton monte au sein de l’assemblée nationale qui pousse Air France à privilégier l’A350 au détriment du 787, il est certain que de nombreux députés monteront aux créneaux afin de défendre les intérêts européens, quitte à ce que l’Armée de l’Air obtienne un drone moins performant. Sorte de renvoi de balle après la défaite d’EADS North Américain pour le contrat géant KC-X. Rappelons que la décision d'achat des Reapers a justement été reportée in extremis après le choix du KC-767 de Boeing.

De plus si le Ministère de la Défense optait pour  l’option américaine, les crédits accordés iraient directement aux Etats Unis, ce montant en question ne pourrait donc pas financer les bureaux d’études européens chargés de concevoir les drones pour 2020. En temps de rigueur budgétaire, cela pourrait signifier l'arrêt de mort de tout programme européen, ou tout du moins creuser encore plus l'écart entre d'un côté les USA et Israël, et de l'autre les Européens.

Quant à la compétition pour le drone franco-britannique, elle aussi se jouera dans peu de temps et devrait affirmer un caractère bien plus stratégique que le précédent, car il est bien question que l’Europe rattrape son retard en matière de drones.

L’option Telemos de Dassault/BAe

Avec le MoU (Memorandum of Understanding) signé en mars dernier, les deux entreprises ont su prendre de l’avance sur leurs concurrents. Le projet devrait être vraisemblablement basé sur le démonstrateur Mantis de BAe. L’entreprise britannique aurait pour rôle l’étude de la cellule pendant que Dassault aviation se chargerait des systèmes embarqués. En effet, les deux entreprises semblent tout à fait complémentaires, « Nous pensons que Dassault Aviation et BAE Systems sont les seules deux sociétés disposant immédiatement des capacités, de l'expérience et des technologies nécessaires pour répondre aux besoins de nos deux gouvernements. »  a déclaré Eric Trappier, Directeur Général International de Dassault Aviation.

Cette évolution du démonstrateur Mantis portera donc le nom de TELEMOS. En mythologie grecque, TELEMOS, fils d'Eurymos, était le devin qui avait prévenu le cyclope Polyphème de l'imminence d'une attaque d'Ulysse. Comme le spécifie l’appel d’offre, l’UAV pourra être armé et sa mise en service est espérée en 2017. Cependant, certains officiels du ministère de la défense ont avoué que le Mantis ne paraissait pas à la hauteur de leurs exigences et souhaite un système plus ambitieux. Il reste donc à voir quelles améliorations apporteront les deux industriels.

La coopération entre les deux entreprises a de grandes chances d’aller plus loin. En effet, les besoins mutuels en matière d’UCAV des deux pays devraient rapprocher le démonstrateur nEUROn de la DGA et le TARANIS de BAe système. Même si dans le discours officiel rien n’est envisagé, pour le moment, le contexte de rigueur budgétaire actuel poussera vraisemblablement les deux démonstrateurs à aboutir à un système commun.

EADS et son Talarion

Le Talarion se trouve toujours  dans la fâcheuse situation de ne pas disposer de nouveaux financements publics. Néanmoins une lueur d’espoir vient de la Turquie qui s’engage à participer au programme si celui-ci aboutit. Le Talarion est un projet extrêmement ambitieux,  drone de grande envergure (28 mètres d’envergure pour 7 tonnes.), il comporterait l’avantage d’être rapidement disponible (2014), puisque son développement a déjà été poussé à maturité. Mais il sera difficile pour EADS de faire pencher la balance en sa faveur dans le cas de l’appel d’offre en question. Même si l’Allemagne, l’Espagne, la France et la Turquie participeraient au programme, il reste un grand absent qui n’est autre que le Royaume-Unis dont aucune grande entreprise n’est représentée. Il est à soupçonner que les Britanniques se mettront, eux aussi, à la mode du protectionnisme. Si la France se retire définitivement du programme le projet à de grandes chances de disparaître.

Lors du Salon du Bourget, EADS a mis en garde l'Europe contre le risque de lancer deux programmes de drones concurrents, en pleine période de réduction budgétaire, et de répéter l'affrontement des avions de combat Rafale et Eurofighter sur les marchés à l'exportation. "Nous sommes prêts et c'est dommage de voir que du côté européen, il y a une concurrence potentielle qui retardera l'exécution de tels programmes", a regretté Stefan Zoller, directeur exécutif de Cassidian, pôle défense et sécurité d'EADS.

Cette déclaration rejoint le discours inaugural du Président Nicolas Sarkozy au Salon de l'aéronautique du Bourget . «Nous allons encourager les regroupements qui permettent de renforcer nos champions industriels » a-t-il ainsi déclaré. L’Etat fait déjà pression sur Safran et Thales pour un échange d’actif, la DGA n’a en effet plus les moyens de financer plusieurs bureaux d’études qui développent la même technologie. C’est aussi le cas pour les drones, «Les guéguerres franco-françaises doivent cesser dans la bonne humeur et sur la base du volontariat, et si ce n'était pas le cas, cela se ferait toujours dans la bonne humeur mais sur la base d'instructions. La concurrence est trop rude, les enjeux sont trop urgents. Il faut décider maintenant et faire des choix », a-t-il insisté.

«La France a besoin d'acteurs de dimension mondiale. C'est incontestable pour Airbus dans l'aéronautique civile, Eurocopter dans les hélicoptères, Safran dans les moteurs, et Thales dans les radars; mais dans la défense, l'Europe paie encore la rivalité entre le Rafale et l'Eurofighter. Il ne faut pas répéter cela dans les avions sans pilote. Il faut éviter que les Européens se divisent. (…)Dassault Aviation et EADS doivent se parler un peu plus  » estime de son côté Gérard Longuet. Il est à soupçonner que si aucun rapprochement entre les 3 industriels n’est envisagé, alors cela entérinera vraisemblablement la fin de l’un des 2 projets.

Nous voyons que ce marché  comporte de nombreux enjeux. S’il est toujours question d’indépendance européenne, elle relance le débat sur une Europe de la Défense encore trop divisée, autant d’un point de vue industriel que politique. Il faut avant tout prendre conscience que ces débats qui gravitent autour de cet appel d’offres font souffrir principalement les militaires qui ont besoin plus que jamais d’un système rapidement disponible et performant. Il est à espérer que les concepteurs  du Talarion et du Telemos trouvent un terrain d’entente, car il serait bien dommage que l’un ou l’autre des deux projets soit mis aux cartons.

Enfin Il est à noté que nous nous dirigeons vers une monté en puissance du patriotisme économique des deux coté de l’Atlantique. Les acteurs du monde aéronautique et les institutions concernées prennent conscience que les règles du libre échange sont difficilement applicables à un secteur aussi stratégique que celui de l’aérospatial.

Arnaud Gonnard