© Dassault Aviation - Ph. Stroppa Le démonstrateur européen d'UCAV nEUROn.  	 Jeudi 19 janvier dernier, le groupe Dassault a pour la première fois dévoilé aux services officiels et au public son démonstrateur de drone de combat furtif (UCAV) nEUROn. Bien que son assemblage ait été achevé il y a plusieurs mois avec une mise sous tension à la mi-octobre, Dassault a choisi de maintenir un certain secret jusqu’à la semaine dernière.  Pour l’occasion, la soute à armements de nEUROn avait été ouverte, dévoilant une bombe guidée laser GBU-12, et par la même occasion la finalité belle et bien offensive du démonstrateur.

Démarré à l’initiative de la France en 2003, le programme a dès le début mis en exergue la nécessité d’une coopération à l’échelle européenne, aussi bien financière que technologique. L'un des buts avoués était de garder actifs les bureaux de recherche et développement du continent, alors que les trois grands programmes d’avions de combat qu’il héberge (Eurofighter, Gripen et Rafale) arrivaient bientôt à maturité.

« Une sélection sévère »

Plus de la moitié des travaux nécessaires à nEUROn ont été confiés à la charge des partenaires européens du programme, sous maîtrise d’œuvre du groupe français Dassault. Dans son dossier de presse, Dassault met en avant la « sélection sévère » dont sont issus ces partenaires, qui se devaient de répondre à trois critères, l’excellence, la compétitivité et l’engagement budgétaire. Ces critères sont tous intrinsèquement liés. Dassault déclare que le but n’était pas de créer de « nouvelles technologies  en Europe, mais de tirer le meilleur bénéfice des niches existantes ».  Ceci dans l'optique d’éviter d’avoir à réinventer une technologie existante quelque part d’autre en Europe, permettant donc de limiter les coûts, remplissant donc à la fois les critères d’excellence et de compétitivité. Pour le dernier critère, l’engagement budgétaire, nEUROn mettrait fin à une pratique très courante dans les programmes internationaux, le « retour sur investissement géographique ». Ainsi, un investissement financier budgétaire d’un Etat ne serait pas synonyme d’une charge de travail plus grande pour ses industriels nationaux. On observe néanmoins une certaine proportionnalité entre les sommes engagées par les pays et les charges qui leur sont attribuées.

Six pays participent donc à ce programme doté d’un budget supérieur à 400 millions d’euros.

- La France (180 M€) représentée par le groupe Dassault, maître d’œuvre du projet et responsable notamment des dispositifs furtifs de l’appareil, de l’assemblage, de l’intégration et des essais sol et vol.

- L'Italie (75 M€), dont l'industriel Alinea fournit principalement la soute à armement et ses portes et un capteur électro-optique infrarouge étant également fourni par Selex Galileo.

- La Suède (75 M€) se charge du fuselage principal, de l'avionique et du système de carburant au travers de SAAB.

- L'Espagne (35 M€) avec EADS-CASA s'est vue attribuée la conception des ailes, le segment sol et l'intégration de la liaison de données.

- La Grèce (20 M€) a produit la section arrière et la tuyère grâce à HAI.

- La Suisse (20 M€), dont les souffleries de RUAG ont hébergé les essais basse vitesse, le groupe étant aussi en charge de l'interface soute-armement.

On notera les deux grands absents au programme que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni. Tous deux se sont déjà lancés dans un programme de drone de combat, avec respectivement Barracuda et Taranis, bien que l'emport d'armement semble avoir été exclu dès leur conception. Si le premier s’est abimé en mer en 2006 et semble être au point mort, le deuxième poursuit son développement dans le plus grand secret, et devrait effectuer son premier vol en 2012 (nous publierons alors un article plus détaillé sur Taranis), tout comme nEUROn, ce dernier étant prévu en juin 2012. Les programmes Taranis et nEUROn partagent d’ailleurs de nombreux points communs, qui font regretter à certains observateurs ce double investissement pour un résultat similaire, alors que les fonds sont rares. Il n’est cependant pas à exclure que bien que peu probable, que suite au récent rapprochement franco-britannique, les deux drones aient un successeur commun.

Des défis technologiques ambitieux…

 Nous l’avons vu, un des objectifs de nEUROn est de maintenir voir développer les capacités et connaissances européennes dans le domaine de l’aéronautique de combat. Dassault met ainsi en avant la nécessité de développer des technologies stratégiques, sans lesquelles l’Europe serait destinée à se laisser progressivement distancer.  Les deux principaux domaines technologiques à développer touchaient à la furtivité et à l’insertion d’un avion sans pilote dans un espace aérien et un réseau info-centré. La formule « triple première » pour le nEUROn revient ainsi souvent dans les média, puisque le démonstrateur sera le premier appareil de combat furtif d’Europe, son premier UCAV réalisé en coopération et le premier appareil de combat entièrement conçu et développé sur un plateau virtuel. Cette furtivité résultera principalement de l'adoption de formes spécifiques piègeant ou dispersant les ondes radar, ainsi que d'un revêtement spécial. Le drone est d'ailleurs pour l'instant dépourvu de cette peinture furtive, qui sera appliquée ultérieurement d'après le site du magazine Air&Cosmos. On peut  noter que Dassault avait déjà fait voler des démonstrateurs furtifs par le passé, avec notamment les Petit et Moyen Ducs, ayant été testés avec succès durant la décennie précédente. Le projet nEUROn s’inscrit dans la suite logique de ces deux programmes.

© Dassault Aviation - Ph. Stroppa Le démonstrateur européen d'UCAV nEUROn.

A l’image des objectifs opérationnels 

La différence la plus médiatique entre nEUROn, ses prédécesseurs et ses concurrents européens tient au fait qu’un largage d’armement grandeur nature aura bel et bien lieu. Cependant, contrairement à ce que pouvait le laisser penser la bombe guidée par laser GBU-12 visible jeudi dernier lors de la présentation du drone, c’est une bombe lisse qui devrait être tirée, toujours selon l’hebdomadaire Air&Cosmos. Cet unique essai ne servirait qu’à valider la séparation plateforme-armement, et non une utilisation opérationnelle. Ceci est probablement dû au fait que le drone ne semble pas pourvu d'un désignateur laser, indispensable à la GBU-12. Hors, le scénario d'attaque type de nEUROn verra celui-ci engager de manière automatique et indépendante sa cible (cf. ci-dessous), excluant donc une illumination externe. On peut néanmoins se demander pourquoi un armement plus approprié à ce type de mission, tel que l'AASM-IR récemment qualifié et tiré en Libye, n'a pas été intégré au drone.

Il n’en reste pas moins que l’objectif final est particulièrement ambitieux. Après plusieurs mois d’essais en vol menés par les différentes agences d’armements des pays impliqués dans le programme, nEUROn devrait en effet effectuer une simulation complètement automatisée d’une mission de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD). Cet essai, qui se déroulera en Sardaigne, verra nEUROn faire face à un réseau de défense aérienne. Au cours d'une séquence pleinement automatique, le drone devra analyser la menace, détecter un des éléments du réseau grâce à son capteur électro-optique, et l’engager de manière factice, aucun armement ne devant être délivré au cours de la passe. L’appareil devra par ailleurs optimiser sa trajectoire afin d’assurer sa discrétion et sa surviabilité face à la menace.

Ce test final sera la conclusion d’une série d’essais au cours desquels le domaine de vol du drone sera profondément exploré. Sa furtivité, qui sera également mise à l’épreuve des différents moyens de détections disponibles sur le continent. L’article d’Air&Cosmos, dans son édition de cette semaine, cite notamment le radar Arabel du système sol-air franco-italien SAMP/T, les radars Giraffe dont sont dotés les Suédois, ainsi que les radars aéroportés des Rafale et E-3F de l’armée de l’Air.

Quel futur pour nEUROn ?

Une fois l’essai final de Sardaigne terminé, la suite du programme est floue. A l’état actuel des choses, il devrait s’arrêter en 2014, après deux ans d’essais en vol. Cependant, Dassault ne désespère pas de voir les pays partenaires du programme financer sa prolongation. On parle alors de l’ajout de nouvelles capacités telles qu’une liaison par satellite, possiblement fournie par la Belgique au cas où elle déciderait de rejoindre le programme, ou encore de contre-mesures électroniques. En tout état de cause, nEUROn n’a été conçu dès le départ que comme un démonstrateur technologique, et non comme un appareil à vocation opérationnel. Il est donc possible qu’un nouveau programme soit lancer plus tard dans la décennie.

 

© Dassault Aviation - V. Almansa Présentation du nEUROn (notez la GBU-12 dans la soute droite).

 

Des questions qui ne manqueront pas d'être posées

Cependant, le contexte financier actuel est loin d’être favorable à un tel programme, qui se promet d’être particulièrement coûteux. Par ailleurs, des questions autres que financières ne manqueront immanquablement pas de se poser. Comment, par exemple, intégrer ces appareils dans un contexte opérationnel. L’humain devra-t-il rester dans la boucle, ou l’appareil évoluera-t-il en totale autonomie, la question de tir d’armements létaux devenant alors critique. A quelle échelle, tactique, opérative ou stratégique seront-ils employés ? N'existe-il pas une certaines redondance avec les missiles de croisière de nouvelle génération ? Les drones armés en général seront-ils acceptés par les opérationnels et/ou par la population ? Plusieurs experts européens expriment également leur doute, voyant en cette course aux UCAV un leurre, voir une chimère, destiné à épuiser l'industrie européenne (cf. Hors-série DSI « Avions de Combat » été 2011). Comme tout système d’arme amenant une possible rupture tant technologique que stratégique, les débats entourant son utilisation promettent d’être à la fois passionnants et passionnés !

Néanmoins, il est nécessaire de  commencer dès aujourd'hui à travailler sur le sujet. L’Europe avait déjà manqué le coche de l’apparition des drones non-armés vers les années 70 et 80, en en laissant le quasi-monopole aux Américains et aux Israéliens. Il est désormais communément admis que nous avons plusieurs années de retard technologique sur nos concurrents. Ecart qui tarde à se combler alors que l’utilité opérationnel des drones d’observation semble s’être cruellement fait sentir sur les théâtres afghan et libyen. Cette fois-ci, l’Europe semble décidée à éviter la même erreur et ne semble être qu’à peu d’années, voir mois, d’écart avec les Américains, dont les prototypes d’UCAV ont récemment volé. Gageons pour le bien de notre indépendance industrielle et stratégique que cet effort ne restera pas sans suite…

 

© Dassault Aviation - Ph. Stroppa  Le démonstrateur européen d'UCAV nEUROn.

© Dassault Aviation - Ph. Stroppa  Le démonstrateur européen d'UCAV nEUROn.