Vue d'artiste du lanceur LibertyMardi soir, la NASA a annoncé lors d’une conférence de presse tenue au Centre Spatial Kennedy qu’elle avait signé un accord avec les sociétés Alliant Techsystems (ATK) et EADS North America en vue du développement du lanceur franco-américain Liberty.

Le projet Liberty

Tout avait commencé en février dernier. EADS Astrium et ATK annoncent alors qu’ils s’associent pour créer le lanceur Liberty, qui utilise un premier étage dérivé du booster de la navette spatiale et un deuxième étage dérivé de l’EPC d’Ariane 5. La surprise est grande, mais les espoirs de réussite beaucoup moins.

Les deux partenaires concourent pour l’appel d’offres CCDev-2 de la NASA, qui doit permettre de sélectionner une ou plusieurs entreprises pour le développement de vaisseaux spatiaux et/ou de lanceurs capables de les mettre en orbite. En effet, la NASA se concentre sur le développement de son vaisseau interplanétaire Orion, et elle a décidé de sous-traiter complètement la desserte de la Station Spatiale Internationale (ISS) au secteur privé : c’est le but du CCDev-2.

 

Et comme tout le monde s’y attendait, les contrats ont été attribués à des sociétés purement américaines, et l’offre transatlantique d’ATK et d’Astrium n’a pas fait le poids face aux milliers d’emplois américains que les concurrents promettent de créer.

L’Histoire en serait restée là si la NASA elle-même ne rencontrait pas quelques déboires. Pour l’instant, on rappelle que les Etats-Unis n’ont aucun moyen d’accès à l’ISS, et que leurs vaillants astronautes en sont réduits à brandir leurs bannières étoilées à bord… de vaisseaux russes Soyouz ! Une situation de dépendance que l’orgueil américain souhaite voir prendre fin le plus rapidement possible.

Et elle n’arrivera à son terme que lorsque les différentes entreprises ayant remporté le CCDev-2 auront mis en service leurs nouveaux vaisseaux privés. Et plus le secteur privé mettra du temps à développer ses vaisseaux et ses fusées, plus l’humiliation durera.

Pour parer à toute éventualité, la NASA s’est gardé un joker : si les entreprises prennent trop de retard, son futur vaisseau interplanétaire Orion pourra assurer le rôle de desserte de l’ISS en attendant qu’elles soient prêtes.

Mais tout ne se passe pas comme sur les PowerPoint ! Le développement du vaisseau se passe bien, et il devrait être prêt dans les temps. Mais le lanceur chargé de le mettre en orbite, le SLS, ne sera probablement pas opérationnel avant… 2021 ! Soit avec plus de six ans de retard.

C’est donc pour mettre toutes les chances de son côté que la NASA a décidé de rajouter le lanceur Liberty à la liste des entreprises du CCDev-2. L’accord ne prévoit pour l’instant aucun financement étatique, mais il permettra probablement à ATK et Astrium de concourir pour le prochain appel d’offres, CCDev-3, prévu pour le début 2012.

Liberty comporterait des élémnts de la navette et des éléments d'Ariane 5Les avantages de Liberty

Le projet franco-américain a de solides arguments pour se présenter devant les décideurs de la NASA. Le premier étage est directement dérivé du booster (SRB) de feue la navette spatiale. Seule différence : il est constitué de cinq segments au lieu de quatre, afin d’avoir un peu plus de « pêche ». Les boosters de la navette ont volé des dizaines de fois, et la version à cinq segments avait été testée en  conditions réelles lors d’un vol d’essai en 2009.

Le second étage est un Etage Principal Cryotechnique (EPC) d’Ariane 5, équipé du même moteur Vulcain 2 de la Snecma. La fiabilité de cet étage a été largement démontrée dans le cadre de son utilisation depuis le Centre Spatial Guyanais. D’autre part, Ariane 5 avait été initialement conçue pour emporter la navette européenne Hermès, et elle peut donc être considérée comme qualifiée en termes de fiabilité pour transporter des équipages.

D’autre part, les deux principaux composants de Liberty étant déjà une réalité, on peut envisager un vol inaugural dès 2015 depuis le Centre Spatial Kennedy. Chacun des deux partenaires fournirait son étage, les deux seraient assemblés dans le bâtiment VAB de la navette et le tout serait livré à la NASA.

Un lanceur « clés en main » opérationnel en 2015 : c’est précisément ce que recherche l’agence spatiale américaine.

Les inconvénients

La route est toutefois encore longue avant qu’un Liberty ne décolle de Floride. Tout d’abord, il ne faut pas sous-estimer les défis techniques. Disposer de deux étages qui fonctionnent bien séparément est une chose, les faire marcher ensemble en est une autre. Cette politique d’étages conçus en complète indépendance est à l’origine de l’échec du programme de lanceur Europa, prédécesseur d’Ariane dans les années 1970.

Ensuite, on peut se demander comment une proposition laissant une place de choix à la France pourrait se frayer un chemin dans un environnement aussi protectionniste que l’Amérique d’Obama. Les différents concurrents promettent des milliers d’emplois à travers les Etats-Unis. Tout ce que Liberty peut agiter devant les députés américains, ce sont trois-cents malheureux emplois dans les usines d’ATK dans l’Utah. L’EPC dérivé d’Ariane 5 serait évidemment fabriqué en France, sur le site des Mureaux.

Ares 1, le retour ?

Au début des années 2000, la NASA s’était lancé dans le développement de la fusée Ares 1, qui devait servir à mettre en orbite le vaisseau Orion. Ares 1 était constituée d’un booster à cinq segments fourni par ATK, ainsi que d’un second étage cryotechnique. Un vol d’essai balistique avait été réalisé en 2009, puis le projet avait été stoppé net par l’Administration Obama.

Liberty n’est en réalité rien d’autre qu’une résurrection d’Ares 1, version libéralisme. Alors, si Ares 1 avait été annulée, pourquoi Liberty ne connaîtrait pas le même sort ? Et pourquoi la NASA s’intéresse à elle ?

Toute la différence entre Ares 1 et son sosie en partie Made in France, c’est bien que ce dernier est un projet de l’industrie, et non de la NASA. Ares 1 avait été annulée car elle était financée par l’Etat américain, qui ne désirait plus prendre part à ce type de projets, mais à les sous-traiter. En revenant à la charge avec une proposition « privée », ATK a maintenant toute ses chances.

L’industriel américain a pris un grand risque en s’associant à un partenaire européen. L’avenir dira s’il a eu raison.