Aéroplans - Décollage du Naro pour son deuxième vol (photo KARI).Le 10 juin dernier, la Corée du Sud a procédé à sa deuxième tentative de mise en orbite d'un satellite. Le lanceur Naro, aussi connu sous le nom de KSLV (Korea Space Launch Vehicle), avait réalisé son premier vol en août 2009, mais un problème avec la coiffe avait empêché la bonne mise en orbite de la charge utile.

Ce deuxième vol s'est à nouveau soldé par un échec, mais les causes sont cette fois-ci beaucoup plus inquiétantes. En effet, cette fois-ci le lanceur a été détruit au bout de 137 secondes de vol, suite à un disfonctionnement du premier étage.

Or, ce fameux premier étage est de conception russe, développé et construit par l'entreprise Khrounitchev. Il s'agit en fait d'un dérivé de l'URM-1, le premier étage du futur lanceur russe Angara, qui devrait à terme remplacer le Proton-M, qui est actuellement le principal, voire l'unique concurrent d'Ariane 5.

Au début du développement du lanceur sud-coréen, les Russes avaient jugé qu'il pourrait être très intéressant d'apporter leur participation. Fournir le premier étage du Naro leur permet en effet de tester à moindre frais les composants de base de leur Angara, et cela permet en prime de faire tourner l'industrie nationale.

 

 

Aéroplans - Décollage du Naro pour son deuxième vol (photo KARI).

 

Un échec lourd de conséquences

L'échec de la semaine dernière remet donc beaucoup de choses en question, aussi bien en Corée qu'en Russie.

Pour la petite République asiatique, il reporte d'une durée indéterminée - mais forcément très longue - la mise en service opérationnel du Naro, et donc l'accès indépendant à l'Espace face à une Corée du Nord qui a clairement affiché son désir et lancer ses propres satellites.

Et pour l'autoproclamé leader mondial de la construction de fusées, un disfonctionnement majeur du sosie de l'URM-1, futur fer de lance des lanceurs russes, constituerait un très grave revers dans le développement de l'Angara, qui souffre déjà d'un nombre incalculable de reports et de surcoûts depuis son démarrage, qui remonte à... 1992 ! De plus, le contrat stipulait que si un composant russe était à l'origine d'un échec de l'un des deux vols d'essais, la Russie devrait fournir un troisième URM-1 gratuitement pour compenser.

Devant de tels enjeux, les services de relations publiques des deux parties s'en donnent à cœur joie. Le motoriste russe Energomach affirme que son moteur RD-151 qui équipe le premier étage a « fonctionné normalement », et que c'est le système de contrôle Made in Korea qui est en cause. Du côté coréen, on prétend que le problème viendrait du système pyrotechnique de séparation du premier étage, qui est bien évidemment fabriqué en Russie. Une affaire bien complexe qui s'éclaircira peut-être dans les jours ou semaines à venir.

Le plus surprenant, c'est de comparer cet échec avec un autre grand événement spatial survenu quelques jours plus tôt à environ 12 000 kilomètres à l'Est de la base coréenne de Naro...

Le coup d'éclat de SpaceX

Le 4 juin dernier, le premier lanceur Falcon 9 décollait de la base de Cap Canaveral pour son vol inaugural, qu'il a parfaitement réussi. Il s'agit du premier lanceur léger de la société SpaceX, capable de satelliser 4,5 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, c'est-à-dire aussi puissant qu'Ariane 4.

Aéroplans - Décollage du premier Falcon 9 (Photo : UniverseToday).L'histoire du Falcon 9 est une véritable success story à l'américaine. Son créateur, Elon Musk, PDG de SpaceX, fêtera ses quarante ans l'année prochaine. Il a fait fortune en lançant le site PayPal, et il est, selon le réalisateur du film Iron Man, l'inspiration du personnage Tony Stark.

SpaceX avait déjà lancé le Falcon 1, un lanceur léger qui, après trois échecs, a réussi en 2008 à placer un satellite sur orbite. L'opération a été renouvelée en juillet 2009, cette fois avec une charge utile commerciale. Elon Musk a obtenu les fonds nécessaires à ces exploits en convainquant la NASA qu'il était capable de privatiser totalement l'accès à l'Espace, et en signant un contrat qui faisait de lui le prestataire de la prestigieuse agence spatiale pour desservir la Station Spatiale Internationale. Et ce avant même d'avoir réalisé le moindre composant de ses Falcon !

C'est donc dans un gigantesque pari qu'il s'est lancé, et il vient de le gagner avec brio. Falcon 9 est plus qu'une fusée développée sur fonds privés. C'est le premier lanceur du monde dont la totalité des composants sont fabriqués par la même société. En effet, alors qu'Ariane 5 est un assemblage d'éléments développés par Astrium, Snecma, Cegelec, etc., Falcon est 100% SpaceX ! Même les moteurs Merlin de 55 tonnes de poussée n'ont pas été sous-traités.

Il est ainsi surprenant de constater que les ingénieurs de SpaceX, qu'on pourrait assimiler à des amateurs du spatial, ont réalisé une performance bien plus éclatante que leurs collègues russes de Khrounitchev, qui développaient pourtant des fusées alors même que les parents d'Elon Musk n'étaient qu'à l'adolescence.

On peut alors se demander si les grandes coopérations internationales, les étalements budgétaires et les schémas industriels complexes au possible sont réellement la meilleure solution pour le développement des systèmes spatiaux. A titre de comparaison, l'amélioration d'Ariane 5, appelée Ariane 5ME, est en développement depuis les années 1990, et elle ne devrait pas voler avant 2016. A ce moment là, SpaceX aura peut-être déjà mis en service son Falcon 9 Heavy, plus puissant et moins cher que notre fier lanceur national...

Aéroplans - Elon  Musk, PDG de SpaceX.