Analyse - Wikileaks, le site désormais mondialement connu pour ses fuites de documents sensibles, nous livre une de ses rares pépites et pas des moindre puisqu'elle concerne OHB, une entreprise symbolisant les efforts allemands dans le spatial.
En effet, un câble diplomatique datant d'octobre 2009 en provenance de l'ambassade américaine de Berlin a récemment été divulgué, dans lequel Berry Smutny, le PDG du groupe tient des propos très durs à l'encontre la France. Propos qui lui ont valu une suspension pour une durée indéfinie. Selon le porte parole du groupe, si le groupe "croit en lui, les dommages à l'image du groupe sont trop importants." Au-delà, c'est toute la stratégie allemande qui prend un sérieux coup de froid.
Ces attaques touchent à deux programmes européens majeurs, le système de géopositionnement par satellite Galileo et le programme d'observation par satellite Musis. Si B. Smutny a immédiatement nié ces déclarations en les replaçant dans un contexte non-officiel, il reste fort probable que Berlin et Paris se livrent une guerre discrète pour le contrôle de ce secteur stratégique.
Galileo, "une idée stupide".
Ces attaques contre le concurrent européen du GPS venant de la part d'OHB ont dû en surprendre plus d'un. En effet, il y a tout juste un an, OHB-System AG, filiale d'OHB-Technology, a remporté un important appel d'offre lancé par la Commission européenne et l'ESA et destiné à la production des quatorze premiers satellites de la constellation Galileo. Ce choix s'est fait aux dépens d'EADS-Astrium qui partait pourtant favoris, les adversaires d'OHB doutant de sa capacité à produire autant de satellites du fait de sa relative petite taille comparée à celle du géant européen.
L'entretien entre le PDG de l'entreprise et les diplomates américains s'est donc tenu moins de quatre mois avant le succès d'OHB face à Astrium. Le câble prête à B. Smutny des propos très virulents à l'encontre de Galileo, décrit comme "une idée stupide qui sert en premier lieu les intérêts français" et qu'il voit comme "un gaspillage [...] de l'argent des contribuables européens". Toujours selon les diplomates américains, pour l'homme d'affaires allemand le système de navigation serait défendu par la France afin de pouvoir acquérir son indépendance durant ses opérations militaires vis-à-vis du système GPS américain.
B. Smutny s'en est ensuite pris plus largement à la politique de guerre économique que livrait selon lui la France, qu'il décrit comme "l'Empire du Mal", à l'Allemagne et qui ferait plus de dégâts que celles de la Russie ou même de la Chine. Son pays serait en effet mal protégé contre des activités d'espionnages françaises de par sa nature fédérale et donc de par l'absence d'un gouvernement central à même de coordonner une réponse efficace.
L'Allemagne se lance dans l'optique spatiale.
C'est justement pour contrer la politique économique agressive de Paris qu'OHB-System se serait vu attribuer un autre contrat une fois de plus aux dépens de la filière allemande d'EADS-Astrium. Ce projet nommé HiROS (High Resolution Optical satellite System) vise à la construction d'un système d'observation optique de la Terre en Haute Résolution. Composé de trois satellites de masse unitaire de 820kg placés sur des orbites polaires comprises entre 490km et 685km, HiROS sera en mesure de fournir des images de 50cm de résolution en stéréo, rendant possible la modélisation 3D de l'environnement. Si le système est développé par l'agence spatiale allemande DLR en coopération avec les Etats-Unis, le bénéficiaire final serait le BND, l'équivalent allemand de la DGSE.
HiROS constitue là encore une preuve des divergences de point de vue entre la France et l'Allemagne. En effet, il entre directement en concurrence avec les systèmes d'imagerie duals que sont Pléiades et SPOT. C'est pour cela qu'OHB a été choisi comme principal contractant de préférence à Astrium, les dirigeants allemands craignant que Paris ne sabote le projet en faisant pression sur les dirigeants de la filiale d'EADS.
HiROS en concurrent de Musis ?
Cependant, peut-on réellement affirmer que HiROS est un concurrent au programme MUSIS ? Ce programme, lancé par la France, vise à fédérer les capacités satellitaires européennes autour de segments sols interprobables à même de faciliter le partage des données transmises, projet mené sous coordination de l'OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d'armement). Rappelons le, MUSIS devrait être constitué d'une composante optique très et extrêmement haute résolution (THR et EHR) développée par la France (les remplaçant des actuels Hélios 1 et 2), d'une composante optique à champs large espagnole, ainsi que de deux composantes radar THR développées par l'Allemagne et l'Italie (remplaçant respectivement les systèmes SAR-Lupe et Skymed).
HiROS remettrait-il donc en question l'ensemble du programme MUSIS ? Il semblerait bien que non, ne serait-ce que du fait de la net différence de résolution avec Hélios 3.
En effet, ce dernier sera composé de deux satellites identiques (avec un troisième en option) mais placés à des orbites différentes. Le premier, dit de reconnaissance, sera positionné en orbite haute, aux alentours de 600 ou 700km et aura une THR, c'est-à-dire comprise entre 25 et 50cm. Le deuxième sera quant à lui placé en orbite basse, aux environs de 400km, lui conférant ainsi une EHR, inférieure à 25cm, en faisant donc un satellite d'identification. Dans les deux cas donc, Hélios 3 aura de biens meilleures capacités de discrimination que son pendant allemand. Il est donc faux de dire que les deux capacités sont redondantes et donc en concurrence. De plus, même si c'était effectivement le cas, le fait de disposer de plusieurs satellites d'observation permet d'accroître le nombre de passages quotidiens au-dessus des zones d'intérêts et donc d'actualiser les informations plus régulièrement, capacité indispensable à l'heure de l'accélération du tempo dans les opérations militaires.
Une affaire d'indépendance stratégique.
On le voit donc au travers de ces deux programmes, tout semble affaire d'indépendance stratégique. En effet, il est fort probable que le PDG d'OHB n'ait pas tord en affirmant que Galileo constitue pour la France un moyen d'émancipation vis-à-vis de l'omniprésente puissance américaine. Il faut rappeler qu'à tout moment le signal du système GPS peut être dégradé ou même interrompu dans certaines zones du globe, et ce sans aucune possibilité de contrôle de la part des Européens. Il n'est pas impossible que dans le futur, un ou plusieurs pays européens souhaiteront intervenir sur un théâtre d'opération contre la volonté américaine. Hors, nos systèmes d'armes sont de plus en plus dépendant des systèmes de positionnement par satellites, notamment pour les armements air-sol tels que l'AASM ou le SCALP.
Le fait de disposer d'un système européen permettra ainsi de ne pas être soumis au bon vouloir de Washington. Bien qu'il faille là encore relativiser cette affirmation puisque les Etats-Unis auront la possibilité de brouiller le signal de Galileo sur certaines zones de conflit. On ne peut que regretter que cette concession ne se soit pas faite en échange de la même possibilité pour les Européens sur le signal GPS. Ainsi, Galileo, même si il semble redondant avec le GPS troisième génération américain, nous assurera une capacité indépendante de navigation par satellite.
Concernant HiROS, il s'agirait là encore d'une affaire d'indépendance, mais cette fois-ci de l'Allemagne envers la France. Cependant, du fait de la participation américaine au programme, Berlin n'aura pas le plein contrôle sur le système. L'allié américain parait tout de même moins naturel que la France. De plus, bien qu'il leur permettra d'acquérir plus facilement des images optiques de haute résolution, les dirigeants allemands devront toujours passer par la France pour des images de plus grande résolution. Tout comme la France, en abandonnant le programme d'imagerie radar par satellite Horus, s'est rendue dépendante de l'Allemagne et de l'Italie dans ce domaine. Cette interdépendance n'est pas nécessairement une mauvaise chose puisqu'en ces temps de disette budgétaire il n'est plus possible pour un pays de taille moyenne de posséder tout le panel des moyens d'observation spatiale. C'est également un pas de plus vers une coopération accrue en matière de défense européenne, pas que nous ne pouvons que saluer.
Pour résumer, faut-il donc s'inquiéter de ces nouvelles révélations de Wikileaks ? Nous concernant, il semblerait que non. Bien que celles-ci révèlent une guerre d'influence franco-allemande dans le domaine aérospatial, elle n'est aucunement nouvelle, au regard des récurrentes tensions, notamment en terme de partages industriels auxquelles nous assistons sur tous les grands programmes européens, dont l'A400M est certainement un des meilleurs exemples.
PS: Nous nous excusons pour le manque d'illustration de cet article dû à un soucis technique sur notre plateforme. Nous travaillons au plus vite pour régler le problème.