Les retards de plus en plus importants dans la mise en service de l’un des programmes phares de Boeing, le B787 Dreamliner, mettent régulièrement le succès de cette nouvelle génération d’avions entre parenthèses. Entre modification de la stratégie d’externalisation poussée de Boeing, les turbulences que traverse le monde des transporteurs aériens, l’annulation de commandes ou la domination d’Airbus en ce début d’année, le Dreamliner fait grise mine et pourrait même se faire voler la vedette par la prochaine fournée d’un autre avion mythique chez Boeing, le B747-8. Le premier exemplaire du 747-8 Freighter a en effet été mis sous tension pour la première fois en août dernier sur sa ligne d’assemblage final à Everett. Achevé à plus de 80%, ce premier appareil, le plus long de la série des Jumbos passe des tests de systèmes électriques, hydrauliques, pneumatiques et reçoit ses quatre nouveaux GEnx-2B, soit la motorisation exclusive de cette série. L’énorme pari commercial de Boeing à 144 milliards de dollars de recettes et 56 compagnies clientes, bat de plus en plus de l’aile, mais pour combien de temps encore ?
Un retard de trois ans pour sa première livraison.
Outre une compétition de plus en plus difficile pour Boeing puisque l’avionneur américain n’enregistre qu’une cinquantaine de commandes nettes depuis le début de l’année, le plaçant en seconde position loin derrière Airbus, le géant de Seattle voit les problèmes s’accumuler sur l’un de ses programmes phares, le Dreamliner. Depuis le début de son histoire, l’appareil subit d’ailleurs les intempéries les unes après les autres. Annoncé comme un appareil révolutionnaire notamment de part sa conception faisant la part belle aux matériaux composites, le pourcentage de ces derniers a été profondément réduit pour des raisons techniques. « L’avion en plastique » semble donc plus lourd que prévu avec un surpoids d’environ 4%. Si l’avion sera tout de même le plus économe en carburant du marché, moins polluant et plus rationnel en termes de coûts d’exploitation, les reports de son calendrier de livraison est un problème majeur. Avec plus de trois ans de retards, les clients s’impatientent naturellement. Le premier vol d’un B787 est maintenant prévu pour la fin de l’année alors que les problèmes de jointure entre le fuselage et les ailes par exemple viennent normalement de trouver une fin heureuse. Les premières livraisons ne devraient toutefois avoir lieu qu’au quatrième trimestre 2010. Boeing affirme néanmoins avoir pris plusieurs semaines de marge au cas où un problème de conception ou de certification ait encore lieu. Le constructeur a finalement annoncé qu’il serait en mesure de produire une dizaine d’avions par mois à partir de fin 2013.
Là où le bat blesse chez le Dreamliner s’est aussi le taux d’externalisation de sa production que Boeing a peut-être poussé trop loin. Avec un taux de sous-traitance avoisinant les 80%, le constructeur paye au prix fort une stratégie jamais tentée jusqu’à présent. Ainsi, les retards pris dans la livraison des tronçons de fuselage réalisés par Vought sont un bel exemple de la marche en arrière qu’opère actuellement Boeing. A la suite de ces retards, l’avionneur a repris le contrôle de l’usine de l’équipementier à Charleston en Caroline du nord. Considéré comme le principal maillon faible du programme 787, Vought avait déjà cédé sa participation de 50 % dans une coentreprise Global Aeronautica créée avec l'italien Alenia pour assembler des éléments du Dreamliner. Boeing n'est toutefois pas allé jusqu'à racheter en totalité son sous-traitant, qui continuera à travailler pour lui sur d'autres programmes. Outre des éléments de fuselage du Dreamliner, Vought fabrique également des pièces cruciales pour le B777 et le futur B747-8, qui a également subi d'importants retards. Il permettrait également d'écarter le spectre d'un possible dépôt de bilan de Vought, confronté à de sérieuses difficultés financières. Une situation dont Airbus doit certainement prendre conscience. Si l’entreprise européenne s’est elle aussi lancée dans ce type d’externalisations, elle se limite pour l’instant à 50% maximum sur un programme comme l’A350.
Les retards de la mise en service du B787 américain pertubent aussi les entreprises françaises. Zodiac et Latécoère déjà pas mal impactés par la crise du secteur, affichent des manques à gagner importants. Les deux équipementiers sont effectivement impliqués dans la fabrications du Dreamliner. Chez Latécoère, on fabriquera les portes en composite de l'avion mais cette année, il ne faudra pas compter sur les 16 à 17 millions d'euros initialement attendus. Mauvaise nouvelle pour l'entreprise dont le chiffre d'affaire recul désormais de 19,7%. Chez Zodiac la situation est moins grave puisque l'équipementier garde une certaine forme avec un chiffre d'affair en hausse de 9,4% sur l'exercice 2008-2009. Cependant, chaque exemplaire livré du Dreamliner doit lui rapporter 2,5 millions d'euros. Un manque à gagner qui impacte ses objectifs de croissance. Les deux groupes ont soit déjà obtenu certaines compensations, ou sont en discussion avec Boeing en vue d'un dédomagement.
Le timing est de plus en plus serré pour Boeing. La phase de certification parait d’ailleurs ambitieuse puisque réduite à 9 mois. Pour l’A350, Airbus prévoit une année. La montée en cadence de la production promet également d’être riche en émotions. N’oublions pas que c’est sur cette étape que l’A380 a subit ses 2 ans de retards de livraison. Boeing devra donc certainement construire une seconde ligne d’assemblage, peut-être à Charleston sur le site de Vought dont nous parlions avant. Encore des surcoûts en vue pour le programme. A ce jour, Boeing a tout de même enregistré 850 commandes nettes contre prêt de 500 pour son concurrent européen l’Airbus A350. L’écart se réduit donc de plus en plus, autant en nombre de commandes que vis-à-vis de la date d’entrée en service des avions. Si Morgan Stanley avait raison en attendant les premières livraisons du Dreamliner en 2011, elles n’auraient plus lieu qu’un an avant celles de l’A350.
Tout ceci n'est pas sans rappeler les déboires similaires dont est affligé l'autre géant de l'aéronautique américain, Lockheed Martin. En effet, le programme JSF/F-35 lightning II a subit depuis son lancement des retards successifs, repoussant sa mise en service d'année en année. De même, le budget alloué au programme a littéralement explosé. Cet avion devait en effet prendre la relève du célèbre F-16, un avion peu coûteux exporté dans 19 pays. Malheureusement pour Lockheed, et pour le contribuable américain, le coût de son programme phare a augmenté de 29% entre 2001 et 2006, ce qui n'est que provisoire car l'avion n'est toujours pas entré en service à l'heure actuelle. Ainsi, tout comme le B787, le F-35 qui devait être aussi bien un appareil à faible prix qu'une merveille technologique exportable de part le monde voit son avenir s'assombrir du fait de l'envolée des coûts et des problèmes rencontrés par les différents industriels afin de mettre au point les nouvelles technologies développées spécialement pour l'appareil.
Cet article sera suivi d’un autre : La clientèle du B787 Dreamliner est de plus en plus impatiente.
MC et EM.