Le premier ATV en preparation a l ESTEC a Noordwijk (credit ESA)Alors que le troisième vaisseau spatial ATV est actuellement amarré à la Station Spatiale Internationale, les dirigeants du secteur spatial européen commencent (enfin) à réfléchir à la relève.

La fin programmée de l’ATV

Après l’ATV-3 qui a décollé de Kourou il y a deux semaines, il ne reste que l’ATV-4 pour le début 2013, et l’ATV-5 pour le début 2014. Ensuite, basta. Le programme sera définitivement clos.

En fait, il l’est déjà un peu, puisque la production des très nombreux composants a été officiellement stoppée au mois de mars. Il ne reste plus qu’à terminer l’assemblage des deux derniers exemplaires, et l’une des plus glorieuses pages de l’Histoire de l’Europe spatiale se tournera.

Poursuivre l’ATV aurait été possible au prix d’un important traitement des obsolescences. Il y a quelques années, l’ESA avait lancé des études pour faire évoluer le vaisseau en un « ARV », c'est-à-dire un ATV doté d’un compartiment récupérable, qui aurait permis de répondre au besoin grandissant de rapatrier sur Terre des matériels et des résultats d’expérience.

De la nécessité d’un successeur

L ARV un beau projet qui ne vera jamais le jour (credit Astrium)Mais l’ARV ne verra jamais le jour, et cela va bientôt poser problème à l’Europe. En effet, notre participation au programme de Station Spatiale Internationale n’est pas gratuite. La station est constituée de deux « segments » : le segment américain, et le segment russe.

Le segment américain regroupe les participations de l’Europe, du Japon et du Canada. Autrement dit, là-haut nous ne sommes pas chez nous, mais chez les Américains. Et nous devons par conséquent leur fournir une contribution, c'est-à-dire leur payer un loyer.

Quand le programme a été mis sur pieds, il y a maintenant près de deux décennies, les partenaires du segment américain se sont mis d’accord pour ne pas effectuer d’échanges financiers, et les remboursements se font donc en nature. Par exemple, la construction par Thales des modules américains Harmony et Tranquility s’est faite en échange du lancement de notre module Columbus par feue la navette spatiale de la NASA.

Chaque année, l’envoi d’un ATV vers la station constitue ainsi notre contribution, qui nous autorise à avoir environ un astronaute par an à bord pour un vol de six mois. Avec encore deux ATV, notre loyer est assuré jusqu’en 2017. Mais ensuite, que faire pour que la NASA ne coupe pas le courant dans notre module Columbus ?

Solution 1 : la participation à Orion

Le projet qui était soutenu initialement par l’ESA était une participation européenne de grande envergure au programme de vaisseau spatial polyvalent américain Orion (MPCV).

Vue d artiste du vaisseau Cygnus approchant l ISS (credit Orbital)L’Europe contribue déjà de façon majeure au vaisseau privé Cygnus, via Thales Alenia Space qui fournit le compartiment pressurisé. Il s’agit là d’une coopération de privé à privé, qui n’inclut aucun financement étatique. Ce contrat ne constitue donc en aucun cas une contribution de l’ESA au segment américain de l’ISS.

Le projet auquel réfléchissent actuellement les dirigeants de l’ESA est différent. Il s’agirait d’une coopération ESA-NASA, où l’agence européenne fournirait le module de service du vaisseau Orion, c'est-à-dire la partie la plus complexe et vitale. C’est d’ores-et-déjà Astrium qui est sélectionné comme maître d’œuvre.

Cette solution présente plusieurs avantages : elle permet de réutiliser au maximum les technologies développées pour l’ATV et, surtout, elle est envisageable à court terme. Comme on l’a expliqué plus haut, le temps presse pour l’Europe si elle ne veut pas qu’un huissier dépêché par la NASA vienne expulser ses astronautes.

Le compartiment de rentree du vaisseau Orion chez Lockheed MartinEn revanche, si ce projet a séduit beaucoup de gens en Europe, et plus particulièrement en Allemagne, qui bénéficierait du plus grand retour industriel, il n’en est pas de même outre-Atlantique.

Les Américains ne voient en effet pas d’un très bon œil qu’on leur « vole leur programme ». Le vaisseau Orion est en effet le cheval de bataille de l’Amérique pour les décennies à venir, car outre la desserte de l’ISS il est censé permettre les futures missions d’exploration au-delà de l’orbite terrestre. Confier sa réalisation à l’Europe irait à l’encontre de toute logique industrielle et remettrait en cause la notion d’indépendance d’accès à l’Espace pour leurs astronautes, qui leur est si chère (on les comprend). L’une des raisons pour lesquelles ils ont lancé le programme Orion, c’est justement de sortir de la situation actuelle où ils sont dépendants des Soyouz russes.

D’autre part, de ce côté-ci de l’Atlantique, cette solution ne réjouit pas tout le monde non plus. Elle a l’énorme inconvénient de nous placer dans un rôle de simple prestataire. On fournirait des modules de service à la NASA sans avoir notre mot à dire sur les orientations du programme. Est-ce vraiment à la hauteur des ambitions de l’Europe ?

Non, répond le CNES. L’agence spatiale française a récemment dévoilé un projet bien plus ambitieux…

Solution 2 : le « Concept Versatile Autonome »

Comme il est à la mode de baptiser les choses d’un nom anglo-saxon, appelez-le VAC, pour Versatile Autonomous Concept. Il s’agit d’un vaisseau spatial plus ou moins dérivé de l’ATV, mais capable d’effectuer un rendez-vous dans l’Espace avec n’importe quelle cible, qu’elle soit « coopérative » ou non.

Un tel véhicule permettrait non seulement de rejoindre l’ISS –et ainsi de payer notre contribution – mais pourrait également servir à de nombreuses tâches plus exotiques, comme aller récupérer des échantillons qu’une sonde aurait laissé en orbite autour de Mars, participer à des travaux d’assemblage complexes, ravitailler des satellites, etc.

VAC-1_m

Une telle capacité permettrait d’exploiter à leur juste valeur les technologies révolutionnaires de rendez-vous par laser qui avaient été développées pour l’ATV, et qui sont jusque là utilisées en-deçà de leur potentiel (le système russe Kours, qui est présent sur l’ATV, pourrait suffire pour rejoindre l’ISS).

Disposer d’un tel vaisseau signifierait pour l’Europe qu’elle sait faire quelque chose que personne d’autre n’a fait avant elle. Quand l’heure sera venue de contribuer à un effort mondial d’exploration spatiale, elle aura un savoir-faire inestimable à proposer à ses partenaires.

Développer le VAC créera un énorme effort de R&T, principalement en France et en Allemagne, ce qui constitue un investissement bien plus rentable que de refaire avec l’Orion américain ce qu’on sait déjà faire avec notre ATV.

Plusieurs questions demeurent toutefois en suspens. Premièrement, si le projet de lanceur de nouvelle génération est accepté à la Conférence Ministérielle de fin d’année, l’Europe ne disposera plus pour longtemps d’un lanceur lourd. Le successeur d’Ariane 5 sera en effet beaucoup moins puissant, et ne sera pas capable de lancer des charges comme l’ATV. Et on peut imaginer que le VAC ne sera pas beaucoup plus léger…

Un nouveau match France-Allemagne

Une fois encore dans l’Histoire de l’Europe spatiale, on se retrouve dans une situation où France et Allemagne divergent radicalement. L’Allemagne soutient fortement la participation à Orion, alors que la France menace de se retirer de l’ISS après 2015 si son VAC n’est pas accepté…

Le seul point sur lequel tout le monde s’accorde, y compris les Américains, c’est l’urgence d’une décision. Après une bonne décennie de sur-place, l’Europe se retrouve maintenant au pied du mur. Une décision devra impérativement être prise avant la fin 2012 sans quoi, pour continuer à participer à l’exploitation de l’ISS, il ne nous restera que la solution 3 : faire un chèque à la NASA. Une belle façon d’investir l’argent des contribuables européens…