Le déploiement de la constellation de téléphonie mobile américaine Globalstar-2 n’est pas un long fleuve tranquille. Le troisième lancement, qui devait avoir lieu la semaine prochaine, est reporté au mieux à Noël à cause d’un problème technique récurrent du côté du constructeur.
Des débuts laborieux
Thales Alenia Space avait signé le gigantesque contrat pour le développement de la deuxième génération de satellites Globalstar en décembre 2006. Quarante-huit satellites à construire pour la modique somme de 661M€ ! Les lancements devaient également être réalisés par la France à partir de 2009, mais les retards dans la construction de l’Ensemble de Lancement Soyouz en Guyane ont forcé Arianespace à transférer le contrat chez STARSEM, qui effectuera les tirs depuis Baïkonour, par grappes de six.
Le premier vol a eu lieu en octobre 2010, le second en juillet 2011, et le troisième devait être réalisé le 5 décembre prochain. Un quatrième et dernier tir devait permettre de compléter la constellation en février 2012.
Mais voilà, un grain de sable est venu enrailler cette belle mécanique. Et un grain de sable de taille ! Les satellites sont orientés dans l’Espace par des volants d’inertie, un composant absolument vital. Chaque satellite en a besoin de trois, et en possède un quatrième en secours. C’est Goodrich Aerospace qui fournit les volants d’inertie à Thales, et on peut dire que l’équipementier américain n’en est pas à son coup d’essai, puisque ce sont déjà ses volants d’inertie qui volent sur les satellites GPS II de l’US Air Force.
Or, après le premier lancement d’octobre 2010, deux des six satellites ont rencontré des problèmes avec leur volant d’inertie. Comme ils étaient déjà en orbite, une réparation n’était bien sûr pas envisageable, mais Thales a décidé d’inspecter les satellites de la prochaine grappe qui étaient déjà à Baïkonour, et il s’est avéré que quatre d’entre eux présentaient le même défaut ! Ils ont été remplacés par quatre autres exemplaires, et le lancement n’a été reporté que de deux mois.
La situation tourne au vinaigre
A l’heure actuelle, un satellite a dû être complètement retiré du service, et un autre fonctionne sur son volant d’inertie de secours. Pour Globalstar, qui a payé 661M€ à Thales pour sa nouvelle constellation, c’en est trop.
Le contrat se séparait en deux tranches de 24 satellites chacune. Le financement de la première tranche avait été assuré en partie par la COFACE française, dans le but de soutenir Thales et Arianespace. C’était un partenariat gagnant-gagnant-gagnant : Globalstar pouvait lancer sa constellation, Thales était payé, et l’Etat voyait l’industrie tourner à plein régime. Mais aujourd’hui, cette belle entente transatlantique semble révolue.
Au vu des problèmes rencontrés par les satellites de la première tranche, Globalstar voudrait accélérer le développement de la deuxième, et a demandé à Thales de lui livrer rapidement six nouveaux satellites. Mais pour l’industriel franco-italien, pas question de livrer quoique ce soit sans l’assurance d’un financement (seuls le financement des 24 premiers satellites était garanti pas la COFACE).
L’affaire a été portée devant l’Autorité des Marchés Financiers (SEC) américaine, et le 5 octobre le verdict a été rendu : Thales est dans son droit, et il n’a pas à accepter la demande de Globalstar. La COFACE a pourtant accepté de garantir le financement des six satellites « de rechange », à condition que celui-ci ne dépasse pas 75M$.
Les deux entreprises ont alors annoncé que leur différend sera porté devant une société d’arbitrage américaine, l’American Arbitration Association (AAA), le 24 janvier 2012.
Nouveaux déboires en orbite
La situation n’était déjà pas fameuse, mais elle pouvait encore empirer. La preuve : début novembre, des satellites de la deuxième grappe, lancée quelques semaines plus tôt, montrent à leur tour des faiblesses au niveau de leur volant d’inertie ! Le problème est donc récurrent, et c’est à terme toute la constellation Globalstar-2 qui est menacée.
Et ce n’est pas tout, puisque huit des satellites de première génération (réalisés par Loral et Thales), lancés en 2007, rencontrent des problèmes identiques ! A priori, ils ne pourront pas fonctionner au-delà de 2013, alors qu’ils devaient durer quinze ans. Pour Globalstar, la construction et le lancement de satellites de rechange devient de plus en plus urgent.
Après la signature du contrat des 24 satellites, Globalstar disposait d’un certain délai pour commander d’éventuels satellites en option. Selon Thales, ce délai est expiré, et toute commande supplémentaire doit se faire sur la base d’un prix renégocié.
Le site Spacenews a obtenu une interview de Jay Monroe, le PDG de Globalstar : « Pour nous, nous avons le droit de commander des satellites supplémentaires selon notre contrat aux prix en vigueur. Pour Thales, la date a expiré, et en conséquence nous pouvons commander de nouveaux satellites, mais le prix devra être sujet à un "ajustement équitable". Pour nous, un "ajustement équitable" signifie une augmentation de 1% par trimestre, soit le double ou le triple du taux d’inflation. Nous considérons cela comme raisonnable. Thales a un point de vue complètement différent, qui ne nous semble absolument pas "raisonnable" ».
Le début d’une solution ?
Mais l’industriel européen avait une « arme secrète » ! Cela faisait des mois qu’il développait un logiciel pour permettre aux satellites de ne fonctionner qu’avec deux volants d’inertie. Le 21 novembre, il signe un contrat avec Globalstar pour vendre cette solution qui, certes, apparaît comme du bricolage, mais qui a le mérite de résoudre partiellement le problème à moindre frais.
Le logiciel permettra de remettre en service le satellite qui était tombé en panne, et il pourra être implanté sur n’importe quel satellite qui présenterait une anomalie similaire. Avec ce patch, les satellites pourront assurer leur service pendant les quinze ans prévus par le contrat.
Reste que Globalstar tient quand même à avoir ses six satellites supplémentaires. Rendez-vous le 24 janvier prochain pour le verdict de l’American Arbitration Association…