Aeroplans - Lanceur Unha-2Il y a tout juste une semaine, le 5 avril 2009, la Corée du Nord déclarait avoir mis sur orbite un petit satellite de télécommunication, portant le joli nom de Kwangmyongsong-2, à l'aide d'un lanceur Unha-2. Environ quatre heure après le lancement, le régime nord coréen annonçait fièrement que le satellite émettait en continue des chansons à la gloire des dirigeants actuels et passés, Kim-Il-sung et Kim-Jong-il. Toujours d'après les services officiels du régime, le satellite décrirait une orbite elliptique de 490km de périgée et de 1426km d'apogée, avec une période de révolution de 104min et 12sec. Le lanceur aurait survolé le nord du Japon à une altitude comprise entre 600 et 1000km.

Le lanceur Unha-2 est un dérivé de l'ICBM (missile balistique intercontinental) Taepodong-2, un triétage composé notamment d'un No Dong, un autre missile balistique, comme second étage, tandis que le troisième étage serait de conception chinoise, utilisant des ergols solides. Le missile aurait une portée comprise entre 4000km et 8000km. Il ne fut testé qu'une seule fois avant le tir de dimanche dernier, lors de manoeuvres militaires en juillet 2006 impliquant le lancement de dix missiles dont un Taepodong-2, mais celui-ci s'abima en mer du Japon au bout de quarante-deux secondes de vol.

 

 

Aeroplans - Base de lancement en Corée du Nord
Selon les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, le second étage du lanceur ainsi que le troisième étage et la charge utile se seraient écrasés dans l'océan Pacifique, à environ 3100km du pas de tir de Musudan-ri, au nord-est du pays, tandis que le premier étage serait quant à lui tombé en mer du Japon à environ 130km à l'est de la péninsule coréenne. Les trois pays affirment donc qu'aucun objet n'a été mis sur orbite à l'issue de ce tir. On pourrait se demander si les Etats-Unis n'essaieraient pas de dissimuler le succès nord-coréen, mais le fait qu'ils n'aient pas cherché à cacher le succès du lancement du satellite Omid par l'Iran, qui est lui aussi un pays de l' "axe du mal", rend cette hypothèse peu crédible. De plus, le SKKP russe (organisme russe chargé de la surveillance de l'Espace, équivalent du NORAD américain) a confirmé l'absence de nouvel objet en orbite à l'issue de ce tir.

Ceci n'est pas sans rappeler le lancement du 31 août 1998, lorsque la Corée du Nord avait procédé sans préavis au lancement de Kwangmyongsong-1 à l'aide d'un dérivé du Taepodong-1, un missile biétage, déclarant quelques jours plus tard recevoir des signaux du satellite, émettant lui aussi des chants révolutionnaires. Cependant, le lanceur s'était abimé dans le Pacifique, après avoir parcouru 1550km, en ayant préalablement survolé le Japon, prenant le risque de déclencher une riposte de la part de ce pays. Pour le tir de la semaine dernière, les forces d'autodéfense japonaises avaient donc déployé plusieurs dispositifs antimissiles, notamment autour de Tokyo mais aussi en mer du Japon, en vue d'abattre le lanceur ou tout débris menaçant le territoire du pays. Néanmoins, cette fois-ci, la Corée du Nord avait prévenu longtemps à l'avance les diverses parties concernées par ce lancement (Organisation maritime internationale et l'Organisation de l'aviation civile internationale, ainsi que la Chine, la Russie et les États-Unis) en précisant la trajectoire du vol, mais déclarant toutefois que toute destruction de son lanceur par une armée étrangère serait été assimilée à un acte de guerre.

Aeroplans - Destroyer japonaisPeut-on alors parler d'échec du tir de dimanche dernier ? Le fait qu'aucun objet n'ait été détecté sur l'orbite annoncée pourrait confirmer que ce fut un échec pour la politique spatiale nord-coréenne. Néanmoins, pour les occidentaux, ce tir n'était qu'un essai de missile balistique déguisé en lancement pacifique d'un satellite. En effet, selon les résolutions 1695 et 1718 adoptées par le Conseil de Sécurité de l'ONU en juillet et octobre 2006 à la suite du premier essai du missile Taepodong-2 et de l'essai nucléaire nord-coréen, toute activité liée au développement d'armes nucléaires ou de vecteurs destinés à les transporter était strictement prohibée. Cependant, un lancement de satellite n'est à proprement parlé pas concerné par ces résolutions puisque l'accès à l'Espace est un droit garanti pour toute nation. Les technologies mises en œuvre pour l'envoi dans l'Espace d'un satellite ou pour le transport d'une tête militaire étant très proches, la Corée du Nord a su jouer sur cette ambiguïté. Le lancement du 5 avril a ainsi permis de démontrer que le missile Taepodong-2 possédait une très grande portée, la satellisation de la charge n'étant alors, peut-être, qu'un objectif secondaire de propagande pour le régime, en plus d'être le prétexte au tir. Le lancement/tir serait ainsi un demi succès puisque, même si l'objectif officiel était la satellisation de la charge utile (donc de ce point de vue le lancement est un échec), le fait que le missile est parcouru une distance importante avant de s'abimer en mer, contrairement à l'essai de juillet 2006, montre que le missile a atteint une certaine maturité. La distance parcourue le 5 avril est proche de celle séparant la Corée du Nord des îles Mariannes, territoire considéré comme américain. Les nord-coréens disposent ainsi d'un nouveau moyen de pression sur le gouvernement américain, le missile pouvant éventuellement emporter une arme nucléaire, bien qu'il soit peu probable que les techniciens aient réussi à miniaturiser la charge pour qu'elle puisse être transportée par le missile. Pour se donner une idée, le satellite qui devait être lancé le début avril ne pesait que quelques kilos.Aeroplans - Complex de Musudan-ri

Les conséquences de ce tir pour la Corée du Nord se sont faites attendre. Le Conseil de Sécurité de l'ONU s'est réuni le soir même du tir pour essayer de trouver un consensus sur la manière de condamner le tir. Mais la Chine et la Russie, tous deux membres permanents, ont bloqué toute résolution visant à condamner le régime communiste nord coréen ou à infliger des sanctions à celui-ci, appelant simplement toutes les parties concernées à la retenue. La réaction des occidentaux fut bien sûr beaucoup plus ferme, les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon condamnant fermement ce qu'ils considèrent être une violation des résolutions 1695 et 1718 de l'ONU. L'OTAN, par la voix de son secrétaire général, a estimé que ce tir était une provocation, tandis que la présidence tchèque de l'Union Européenne s'est déclarée inquiète quant aux conséquences de ce tir pour la stabilité de la péninsule coréenne, ainsi que pour les risques de prolifération des technologies balistiques (rappelons d'ailleurs que le lanceur Safir-2 donc s'est servi l'Iran pour placer sur orbite son propre satellite en février dernier est directement dérivé des lanceurs nord coréens). Néanmois, le 11 avril, le Conseil de Sécurité a finalement réussi à trouver un accord sur une résolution, laquelle "condamne" le tir de missile balistique effectué par Pyongyang le 5 avril et affirme qu'il est "en contravention avec la résolution 1718 du Conseil". De plus, le texte prévoit des sanctions à l'encontre de plusieurs entreprises nord-coréennes impliquées dans le lancement. Néanmoins il n'est pas sûr que ces sanctions aient un impact important sur la Corée du Nord. En effet, ce pays est déjà soumis à un embargo sur de nombreux produits, notamment technologiquez, de la part des pays occidentaux depuis de plusieurs décennies. Cependant, la Chine reste un allié économique de poids pour la Corée du Nord, et il est fort probable qu'elle continue à aider son voisin de manière discrète, malgré les sanctions votées.

 

Pour l'anecdote, la tentative de lancement était peut-être aussi destinée à devancer le voisin sud-coréen dans la course à l'Espace, puisque celui-ci s'apprête à lancer en juin le microsatellite Stsat-2 à l'aide de son nouveau lanceur national KSLV-1, dérivé du lanceur Angara-1 russe.

Voir aussi notre article précédent : La Corée du Nord à la conquête de l'Espace ?

Aeroplans - Portée missile nord coréen