Aeroplans - Premier tir d'essai du SCALP Naval / MDCN - crédits MBDAAnalyse - Après avoir fait l'état des lieux des missiles de croisière dans le monde dans un article précédent, nous allons désormais nous pencher plus spécifiquement sur la mise en service prochaine de ces armes dans la Marine nationale, plus précisément depuis ses navires et ses sous-marins. En effet, tout comme l'Armée de l'air, la Marine met déjà en œuvre la version aéroportée du missile SCALP, tirée depuis les Rafale F3 embarqués sur le porte-avions Charles-De-Gaulle. Comme nous allons le voir, le MDCN aura un rôle complémentaire de celui du SCALP-EG du fait de caractéristiques mais aussi d'un concept d'emploi parfois très différents.


 

Une version profondément modifiée pour répondre à de nouveaux besoins

Afin de répondre aux attentes de la Marine nationale, MBDA a dû modifier profondément ce missile connu Outre-Manche sous le nom Storm Shadow. La principale différence concerne la portée. En effet, alors que la version aéroportée n'est créditée "que" d'environ 400km de portée, la version marine sera quant à elle apte à frapper des cibles distantes de plus de 1000km. Bien évidemment, ce gain de 150% de portée a dû se faire au détriment de quelque chose. C'est donc la charge militaire du missile qui a été sacrifiée, perdant 150kg, pour être ramenée à 250kg. Ainsi, contrairement au SCALP-EG dont la charge en tandem lui conférait des fortes capacités de pénétration, le MDCN ne sera pas en mesure de traiter des objectifs dits durcis tels que des bunkers ou des sites enterrés. C'est une des raisons pour lesquelles les deux missiles seront complémentaires, l'un étant dédié aux cibles citées précédemment tandis que l'autre sera destiné aux objectifs plus "fragiles" comme les radars fixes, les dépôts de carburants ou les bases aériennes. Cependant, les deux missiles garderont comme caractéristiques communes les moyens de guidage en phases de croisière au moyen d'une centrale inertielle très précise pouvant au besoin être recalée par GPS (et possiblement plus tard par Galileo) avec une fonction de suivi de terrain TERPROM. Le guidage terminal se fera quant à lui grâce à l'imageur infrarouge présent dans le "nez" du missile.

Deux plates-formes de lancement

Deuxième différence notable, et sûrement la plus visible, celle affectant la forme du missile, qui deviendra cylindrique. Ceci fut rendu nécessaire pour pouvoir mettre en œuvre le MDCN sur les deux plates-formes destinées à l'accueillir, les Frégates Multi-Missions (FREMM) et les sous-marins nucléaires d'attaques (SNA) Barracuda. Ces deux programmes sont actuellement en cours de développement et la mise en service de missiles de croisière sur ces vaisseaux devrait intervenir en 2014 pour les FREMM et en 2017 pour les SNA. Dans le cas des frégates, la munition sera stockée dans un Conteneur de Tir Vertical (CTV), lui même installé dans les tubes de lancements verticaux Sylver 70. Chaque frégate sera ainsi équipée, en théorie, de 16 MDCN. La propulsion du missile ne pouvant assurer l'impulsion nécessaire à la sortir du tube, un booster lui a été adjoint, formant ainsi ce qu'on appelle le composite (missile + booster). Ce booster sera éjecté une fois que le missile aura atteint la vitesse nécessaire au démarrage de son turboréacteur, les ailes et l'entrée d'air de celui-ci se déployant à ce moment.Aeroplans - Vue d'artiste d'un sous-marin de la classe Baraccuda - crédit Marine nationale

Le lancement depuis un SNA se révèle encore plus complexe. Cette fois-ci, le composite ne sera plus dans un CTV mais sera encapsulé dans une structure le protégeant lors de son transit sous l'eau. Ainsi, après avoir été tiré depuis un des tubes lance-armes du SNA, le missile remontera à la surface dans sa capsule, tout en étant propulsé par le booster. Une fois en surface, le composite s'éjectera de la structure et poursuivra son accélération, pour ensuite adopter un comportement similaire à la variante tirée depuis une FREMM. La dotation de chaque SNA en MDCN variera en fonction de la mission qui lui sera assignée, un compromis devant être fait entre torpilles, MDCN et missiles antinavires.

Il est un point qu'il ne nous est possible de préciser, à quel point le passage a une forme cylindrique affecte-il la furtivité du missile ? En effet, le SCALP-EG avait été spécifiquement conçu pour avoir une forme lui assurant une certaine discrétion vis-à-vis des radars adverses, lui facilitant ainsi le vol jusqu'à son objectif. Hors, la Aeroplans - Vue d'artiste d'une frégate FREMM - crédits DCNSforme cylindrique n'est pas spécialement connue pour ses vertus furtives. Ainsi, il est possible que la mise en œuvre depuis des plates-formes navales n'ait été permise qu'en abandonnant la furtivité du missile.

Une arme de haute valeur

Avant de passer au concept d'emploi du MDCN, il est nécessaire de préciser que les missiles de croisières sont en France des armes dites stratégiques, c'est-à-dire que leur emploi est du ressort des autorités politiques. Toute utilisation d'un SCALP-EG ou d'un MDCN nécessitera donc l'accord du Président de la République, qui se verra présenter par le Chef d'Etat Major des Armées un dossier contenant les cibles potentielles en cas de conflit. La nature stratégique du missile implique que celui-ci soit utilisé contre des cibles de haute valeur constituant les centres gravités de l'Etat adverse. Ceux-ci peuvent être les centres décisionnels politiques ou militaires, les grands sites industriels ou encore des objectifs militaires d'importance (radars, centres de contrôle de la défense aérienne,...). Autre raison de limiter l'usage des missiles de croisières, leur coût, estimé à plusieurs millions d'euros, qui en fait des armes précieuses puisque commandées en nombre relativement limité, 150 en version FREMM et 50 en version Barracuda. Le coût du programme MDCN, développement compris, devrait être de l'ordre d'un millard d'euros.

La Marine en recherche de concept d'emploi

Pour la Marine nationale, la mise en œuvre de missiles de croisière depuis des plates-formes navales est une nouveauté. Elle s'est donc logiquement plongée dans une profonde réflexion quant au futur concept d'emploi du MDCN. Afin de pallier à son manque d'expérience dans le domaine, elle s'appuie notamment sur les retours d'expériences de l'US Navy et de la Royal Navy (RN), qui emploient de tels missiles depuis maintenant plus de vingt ans. Cependant, la Marine française ne pourra complètement copier les doctrines américaines ou britanniques car elle se situera entre les deux. En effet, contrairement à son homologue française, la marine britannique a décidé de commander des lots de 65 missiles Tomahawk d'origine américaine et de n'en équiper que ses sous-marins, tout comme elle l'avait fait en choisissant les missiles balistiques Trident II D5 comme vecteurs de ses armes nucléaires. Bien que ceci fut un avantage durant l'opération Iraqi Freedom en 2003, les sous-marins de la RN s'étant réapprovisionnés deux fois gratuitement auprès des ravitailleurs américains après avoir tirés l'ensemble de leurs missiles, ils ne sont pas en mesure de tirer indépendamment leurs propres Tomahawks. En effet, le Royaume-Uni ne dispose pas de satellites de reconnaissance. Ceux-ci sont pourtant nécessaires afin de pouvoir identifier les cibles et d'en extraire les coordonnées, de reconnaître le trajet pour le système de suivi de terrain ainsi qu'éventuellement de modéliser la cible en 3D pour le guidage terminal. Les autorités britanniques sont donc parties du principe que leur allié américain sera toujours disposé à fournir toutes les données nécessaires à un tir de missile Tomahawk, oubliant donc la leçon de la crise de Suez en 1956.

Aeroplans - Destroyers américains tirant une slave de missiles Tomahawk - crédits US NavyD'un autre côté, la Marine française ne dispose pas des mêmes moyens que son homologue outre-Atlantique. En effet, l'énorme budget de l'US Navy lui a permis de passer commande de plusieurs milliers de missiles de croisière, faisant baisser leur coût unitaire par effet de série. Actuellement, le coût d'un Tomahawk est estimé à quelques centaines de milliers de dollars, permettant ainsi aux militaires américains d'utiliser leurs MDCN sur des cibles de moindre valeur et à un niveau tactique. C'est ainsi que plusieurs missiles furent utilisés contre des camps d'entraînement d'Al Qaïda en Afghanistan, cibles de faible valeur aussi bien financière que militaire, qui plus est avec un résultat pour le moins douteux. Cet emploi à grande échelle du missile de croisière naval a atteint son apogée avec l'avènement du concept de guerre "zéro mort" ou "low profile" durant les années 90, les décideurs politiques américains privilégiant alors l'emploi de ce système d'armes au coût humain et politique faible.

Aeroplans - Tir d'un missile Tomahawk depuis un sous-marin de la Royal NavyDes scénarios d'emploi multiples

Si elle cherche à s'appuyer sur les retours d'expériences américains et britanniques, la Marine nationale s'emploie à développer son propre concept d'utilisation du MDCN. Ainsi, durant le colloque organisé par le Centre d'Etudes Supérieures de la Marine, plusieurs intervenants ont, tour à tour, apporté leur propre pierre à l'édifice, que ce soit du point de vue opérationnel, politique ou diplomatique. Avant toute chose, tous se sont accordés à dire que la mise en œuvre du MDCN doit impliquer une maîtrise complète de la chaîne de commandement. Celle-ci va des décideurs politiques jusqu'au marin en charge du tir, en passant par les spécialistes du renseignement, des transmissions ou encore de la situation géopolitique des zones de crises, afin d'alimenter en permanence une base de donnée des cibles éventuelles.

Cette chaîne n'est pas sans rappeler celle mise en œuvre pour l'arme nucléaire, qui est l'arme Aeroplans - Tomahawk de la Royal Navy en volstratégique par excellence. C'est un autre point sur lequel les intervenants sont parvenus à un consensus, le MDCN constituera un complément à la dissuasion nucléaire et non un possible substitut. En effet, outre son caractère employable (l'arme nucléaire étant par définition une arme de non-emploi) la possibilité d'équiper des bâtiments de surface ou des sous-marins avec des missiles de croisière longue portée confère à ceux-ci une forte capacité dissuasive. Il est estimé que 80% des centres de décisions dans le monde sont à moins de 500km des côtés et que seuls deux Etats seraient hors de portée du MDCN. Ainsi, un navire posté au large des côtes d'un pays ferait peser sur ses dirigeants une menace constante, limitant par conséquent leur pouvoir d'action. Les FREMM et les SNA seront également complémentaires, l'une, de par sa visibilité assurant une capacité de "gesticulation" en cas de crise et pouvant montrer la détermination de la France, l'autre, de par sa discrétion et sa quasi indétectabilité, plongeant l'ennemi dans l'incertitude et dans la crainte d'une attaque foudroyante. Certains intervenants ont cependant entrevu un possible problème à cette utilisation dissuasive du MDCN, qui pourrait entraîner une crispation des dirigeants de l'Etat menacé, qui seraient alors plus prompts à réagir.

Les possibilités d'utilisation du MDCN sont donc multiples, que ce soit dans le cadre de frappes ponctuelles ou préemptives, d'une opération de coercition, ou encore durant toutes les phases d'un conflit de moyenne ou haute intensité, notamment durant le premier jour, lorsque la menace que font peser les défenses anti-aériennes est encore trop forte pour l'aviation pilotée.

 

Le déroulement d'une mission MDCN

Pour clore cet article sur l'introduction du missile de croisière à bord des vaisseaux de la Marine nationale, nous pouvons imaginer quel serait dans les grandes lignes le déroulement d'une mission MDCN, à l'image de ce qui fut fait lors du colloque au CESM.

Nous imaginerons donc que les dirigeants politiques souhaitent mener une frappe ponctuelle, par exemple en rétorsion à un acte hostile. Après s'être fait présenter par le CEMA la liste des cibles potentielles, le Chef de l'Etat choisit la plus adaptée à la mesure de rétorsion. Commencent alors plusieurs manœuvres simultanées. Si aucun navire n'est dans une zone favorable au lancement d'un MDCN, ordre est donné au plus proche de rejoindre une position de tir. Pendant ce temps, un dossier d'objectif (DO) sera préparé. Ceci peut-être effectué en métropole, sur le porte-avions Charles-De-Gaulle, sur un Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC) ou encore sur la plate-forme elle-même. Cependant l'équipage composant cette dernière étant restreint, elle ne dispose pas de spécialistes dédiés aux missions MDCN, c'est pourquoi le DO n'y sera généralement pas préparé à bord. Afin d'avoir un DO complet, il est nécessaire de disposer des coordonnées de la cible, de son éventuelle modélisation 3D (non nécessaire si le tir est juste une démonstration de force), ainsi que de la reconnaissance du trajet à parcourir. Une fois le DO prêt, il est envoyé par transmission satellite à l'effecteur, c'est-à-dire au sous-marin ou à la FREMM, qui procédera au tir. Un ou plusieurs missiles peuvent être tirés sur la même cible, avec des parcours différents tout en atteignant la cible simultanément. Après avoir parcouru le trajet terrestre à basse altitude en utilisant sa centrale inertielle et si besoin le système GPS (il peut toutefois fonctionner sans, s'assurant ainsi une indépendance vis-à-vis des Etats-Unis), le missile arrivera en vue de la cible. La partie avant sera éjectée afin de permettre à l'imageur infrarouge de rechercher la cible. Si il ne la trouve pas, le missile sera automatiquement dérouté pour éviter d'éventuels dommages collatéraux. Si la cible est détectée, elle sera traitée. La mission se terminera une fois l'évaluation des dégâts effectuée, afin de déterminer si un deuxième tir est nécessaire ou non.

Selon que les cibles aient été repérées à l'avance ou non, que le navire soit déjà en position ou non et en fonction du temps de passage d'un satellite de reconnaissance au-dessus de la cible, il peut s'écouler de quelques minutes à plusieurs heures entre la prise de décision et le tir effectif.

Nous l'avons donc vu, la Marine nationale est en passe de se doter d'un système d'arme très performant à même de lui offrir de nouvelles possibilités d'actions et de lui conférer, de par sa présence sur tous les océans du globe, un nouveau rôle de dissuasion conventionnelle à l'échelle mondiale qui n'est l'apanage que de quelques Etats dans le monde, voir actuellement d'un seul, les Etats-Unis. Il sera désormais du ressort du pouvoir exécutif d'en faire bon usage et d'en tirer pleinement les avantages.