Aeroplans - A320 avec larges winglets © Airbus SA.S. 2009Alors que l’annonce pour une éventuelle remotorisation du modèle phare d’Airbus, l’A320 était espérée pour le prochain salon aéronautique de Farnborough, la décision est désormais reportée à une date ultérieure mais reste prévue avant la fin de l’année. Chez l’avionneur européen comme chez Boeing avec son B737, cette cure de remise en forme n’a rien d’anecdotique. En effet, nous parlons là de deux best-sellers dans les catalogues des deux fabricants.

Comme nous le disions dans un article plus complet, Airbus et Boeing souhaite remotoriser et apporter un certain nombre d’améliorations à leurs avions avant une vraie révolution pour l’A320 et le B737. Si chez Boeing, les planches à dessin tournent depuis plusieurs mois, on était un peu plus perplexe pour Airbus. Ceci malgré un intérêt affiché par certains clients. Mais reste que ces négociations sont compliquées par une rivalité franco-allemande de plus en plus farouche. Nous verrons comment elle se traduit dans cette affaire.

 

Un début d’année plus morose pour Airbus que pour Boeing.Aeroplans - Air New Zealand – which operates 12 A320s on short-haul international routes – has ordered 14 of these aircraft to replace its current domestic fleet of Boeing 737-300s (3 November 2009) © Airbus S.A.S. 2009

A la fin du mois d’avril, Airbus était toujours derrière son concurrent Boeing en nombre de commandes pour cette nouvelle année. Alors que l’année dernière, l’avionneur européen s’était imposé comme le plus important fabricant d’avions civils du monde, il est pour le moment à la peine en 2010. Le constructeur espère placer entre 250 et 300 commandes brutes en 2010.

Airbus a enregistré 67 commandes depuis le début de l'année, dont 7 au mois d'avril, et aucune annulation. Aucune annulation mais des reports de livraisons. C’est le cas pour la compagnie koweïtienne Djazira Airways qui a reporté certaines commandes pour réduire ses coûts et renouer avec la rentabilité. La compagnie a commandé 29 Airbus A320 qui devaient être livrés en 2014. Elle pense désormais recevoir le dernier de ces avions en 2016, a déclaré Reinhard Kossack, directeur général délégué. Deux livraisons attendues à Aeroplans - Lufthansa B737-500 D-ABJIl'origine pour 2011 ont été reportées à plus tard. "Mais si l'économie se redresse nous modifierons cela", a ajouté Reinhard Kossack.

Boeing totalise lui 96 commandes nettes au 27 avril, malgré 18 annulations. Une nette différence qui n’influe cependant pas sur les objectifs de livraisons de la principale filiale du consortium EADS. Tout comme l’année dernière, Airbus pourrait livrer environ 500 appareils (498 en 2009). Sur les quatre premiers mois de l’année, l’européen a livré 159 avions : quatre A380 (dont celui pour Air France – KLM), 26 long-courriers de type A330/A340, et 129 monocouloirs de la famille A320. Un chiffre qui nous rappelle un peu plus l’importance du programme A320 chez Airbus. Ceci d’autant plus que la commande de sept appareils enregistrée en avril concerne sept A320 au profit de la compagnie aérienne philippine Cebu Pacific. Qatar Airways, qui fait partie des compagnies aériennes les plus dynamiques dans le monde et qui affiche des taux de croissance élevés, s’est elle déjà dite intéressée par une version actualisée de la famille A320.

Aeroplans - The first A318 with “steep approach” capability is delivered to British Airways for operation on long-haul flights between London City and New York’s JFK Airport (1 September 2009) © Airbus S.A.S. 2009 - photographer C. BrinkmanPour stimuler cet engouement, Airbus va augmenter ses cadences de production. Depuis octobre 2009, la filiale produit trente-quatre monocouloirs par mois. A partir de décembre 2010, elle passera à trente-six avions par mois. Un exemplaire supplémentaire sortira des lignes de Toulouse et un autre, de celles d'Hambourg. Une décision prise à la fois à la vue de signes montrant la reprise de l’activité mondiale et par un maintient du catalogue. Les appareils de plus de cent places ont effectivement été moins touchés par la crise que l’aviation régionale ou d’affaires en raison de réserves conséquentes dans les carnets. A ce jour, 2 300 avions de la famille A320 restent à livrer contre 4 200 exemplaires déjà sortis des lignes d’assemblage. Le rythme de production des longs courriers A330 et A340 et lui maintenu à huit exemplaires. Ceci alors que Boeing a lui annoncé une montée en cadence de ses usines dédiées au B777 et au B747-8. Boeing annonce aussi aujourd'hui même que la production de son B737 passera à 34 appareils par mois dès 2012. Aeroplans -  Bombardier CS100 © BombardierActuellement, ils produisent 31,5 avions par mois. A ce jour, les Américains ont écoulé prêt de 5 200 exemplaires de leur avion.

Garder son avance pour assurer ses acquis.

Comme nous le disions, la remotorisation de la famille A320 ne devrait pas être annoncée durant le salon de Farnborough. Elle sera toutefois prise avant la fin de l’année, comme initialement prévu. Mais en attendant, la concurrence continue de s’organiser et va bientôt attaquer ce duo-pôle historique. Bombardier CSeries, C919 chinois ou hypothétique Embraer 195X, tous vont bientôt débouler sur le marché mondial avec leurs atouts et leurs faiblesses. Si l’A320 a été lancé en 1988 et le B737 vingt ans plus tôt, ces deux pontes de l’aviation commerciale vont devoir évoluer pour continuer à assurer à Boeing et EADS des assises confortables.

Aeroplans - LeapXSi rien ne sera précipité pour une annonce lors du salon britannique, Airbus continue ses discussions avec ses partenaires. Motoristes en tête, l’avionneur souhaite lancer son programme NEO (New Engine Option) cette année pour qu’une nouvelle motorisation soit disponible en 2015. Une nouvelle version complète verrait le jour vers 2025-2027 car aujourd'hui Airbus n'est pas capable de passer du métal au composite sur ses monocouloirs. Airbus étudie deux types de réacteurs : le LeapX de CFM International et le PW1000 Pure Power (GTF) de Pratt & Whitney – une nouveauté puisque l’avionneur aurait préféré une solution de geared turbofan commercialisée par International Aero Engines.

Pour Tom Williams, vice-Président des programmes, il s’agit de prendre Bombardier et son CSeries de court. Pour lui, l’avion canadien se révèle être la plus importante menace pesant sur le monocouloir européen. Il doute d’ailleurs que Bombardier s’en tienne au CS100 et au CS300 et ne lance pas une gamme complète si ces deux modèles trouvent leur clientèle.

Quid de la future génération d’A320 ?

Pour le moment, c’est ce programme NEO qui reste au centre de toutes les attentions. Cependant, l’avionneur réfléchit aussi au successeur de son monocouloir. Depuis l’année dernière, les tractations vont bon train autour de cette relève. Airbus réfléchirait ainsi à donner non pas un, mais deux successeurs à son A320. Fort de son expérience dans les fuselages larges, Airbus mettrait alors en service un appareil inédit et répondant aux désirs de rentabilité des compagnies aériennes. Un A320 bi-couloirs serait alors à l’étude.

Confronté à l’éternelle rivalité franco-allemande au sein d’EADS, le futur A320 a dû trouver un accord sur le partage des tâches entre la France et l’Allemagne. On sait désormais que c’est chose faite. Pour éviter les dérapages dans la livraison de ses appareils et satisfaire les deux pays, les futurs A320 seront assemblés à Hambourg en Allemagne. Ceci alors que les long-courriers le seront à Toulouse qui se spécialise dans les larges fuselages. «Les long-courriers (330-340, 350 et 380) seront assemblés à Toulouse et les moyen-courriers, avec l'A30X (successeur de l'A320), le seront à Hambourg», explique Thomas Enders, confirmant un arbitrage qui avait été annoncé il y a trois ans. Toulouse et Hambourg possèdent actuellement chacun une ligne d'assemblage final pour la famille A320 sans revenir sur celle ouverte en Chine.Aeroplans - The initial Chinese-built A320 © Airbus S.A.S.  2009

Cependant, cette décision inquiète. A Toulouse, la disparition des lignes d’assemblages de l’A320 est vue d’un mauvais œil et s’est d’ailleurs invitée aux discussions entre salariés et patronat. « Nous sommes opposés à l'arrêt de cette fabrication. Cela fragiliserait le site de Toulouse. D'autant plus que l'A320 est l'appareil qui assure la rentabilité du groupe. Les salariés en sont conscients : ils se sont toujours mobilisés dès qu'une menace pesait sur cette activité », avertit Alain Milhau, représentant syndical CGT au comité d'entreprise de Toulouse.

La logique industrielle demeure implacable pour compresser les coûts de l’avionneur à partir de 2020. Boeing produit déjà l'ensemble de la famille des 737 sur le seul site de Renton, près de Seattle. Reste à savoir si ce nouveau partage désavantagera ou non Toulouse. Rien n’est moins sur alors que l’assemblage des long-courriers est lui beaucoup plus complexe que celui de mono-couloirs. Airbus rappelle aussi que l’assemblage ne représente que 5 % de la valeur d'un Aeroplans - B737-800 D-AHFGavion. Or, l’accord mentionné ne concerne que ce dernier assemblage. Malgré tout, il est clair que l’Allemagne privilégiera comme toujours l’usinage, la production, l’approvisionnement chez des sous traitants du bassin d’Hambourg plutôt que de la région Midi Pyrénées.

De plus, si l’Allemagne récupère la poule aux œufs d’or d’Airbus, c’est donc Toulouse qui devra faire face aux challenges de l’industrialisation de l’A380 et de l’A350. Ceci alors que la France pourrait perdre des bureaux d’études au profit du voisin allemand. Début mars, l'Allemagne a souligné qu'elle voulait être certaine de récupérer les travaux de recherche et de développement de ce monocouloir en échange de sa participation financière au programme A350.

 

Aeroplans - Projets d'Airbus pour l'A320Eviter un clash social malgré des changements d'envergure.

En attendant, les salariés ont mis fin à cinq jours de grèves tournantes en France. La production était alors proche de l’asphyxie. Mais ce mouvement traduit un peu plus le malaise et l’attente des salariés français face à la réorganisation du groupe. La direction aura finalement consentie à augmenter de 2,5% les fiches de paye de ses salariés. Cependant, le malaise social n’est pas pour autant à oublier chez Airbus. Les salariés continuent de condamner la part belle qui est faite à la sous-traitance. On sait que ce schéma théoriquement intéressant ne l’est pas toujours dans les faits comme le montre le cas du B787 Dreamliner.

Les éléments les plus concrets concernant la future famille A320 concerneraient notamment un nouveau cockpit diminuant la charge de travail des navigants. Il offrirait ainsi une meilleure gestion du vol et exploitant au maximum les nouvelles architectures ATM.

 

Côté matériaux, Airbus continue d’avancer prudemment mais avec motivation vers l’utilisation de nouveaux matériaux. Tout comme l’A350 qui sera composé à 53% de matériaux composites, et même 80% hors systèmes, contre 45% pour l'A380, l’A320 aura sa part d’innovations. La conception d’une nouvelle aile avec une trainée réduite et de nouveaux réservoirs de carburant permettant de limiter la consommation et de n’effectuer aucun rejet au sol seraient en-cours. Côté motorisation, l’open rotor ainsi que les LeapX et GTF font figure de favoris.

Si la concurrence, CSeries en tête, montre les crocs, Airbus et Boeing commencent à ébaucher leurs plans pour maintenir une avance écrasante face aux nouveaux entrants. Une avance nécessaire alors que nous parlons d’un des fondements des empires industriels européen et américain.

Michael Colaone.

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